Il existait un rituel fondamental dans la monarchie française de l’Ancien Régime : à la mort du roi, il était proclamé « le roi est mort, vive le roi ». En effet, dès qu’un roi décédait, son successeur devenait roi immédiatement sans qu’il ait son mot à dire (principe d’indisponibilité de la Couronne) et sans que quiconque ne soit légitime (normalement) à le contester. Le sacre était juste une opération formalisant la prise de pouvoir du nouveau roi, sacre qui pouvait avoir lieu plusieurs années plus tard (notamment dans le cas d’une régence pour minorité). On notera au passage qu’un roi reconnu comme tel n’eut pas le temps d’être sacré : Jean 1er le Posthume. Il est pourtant dans la liste des souverains et il y eut ensuite un Jean II (pas de Jean III car les rois devaient être superstitieux et deux fois le prénom Jean porta malheur, point de troisième !).
Le 21 janvier 1793, la mécanique bien rodée ne put avoir lieu. Ce jour là, Louis XVI fut exécuté. La France était une République depuis le 22 septembre 1792. Point de nouveau roi, d’autant plus que le Dauphin (fil aîné de Louis XVI et héritier du trône) était lui-même prisonnier de la République. La République voulait même abolir la monarchie universellement. On aurait donc pu crier : « le roi est mort, à mort les rois ».
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Bien qu’horrifiés par le régicide, les monarchistes exilés reconnurent le Dauphin, Louis XVII, comme roi. Ils n’avaient pas le choix : la Couronne est indisponible et nul ne pouvait faire passer son tour au petit garçon d’à peine huit ans. Le roi est mort, vive le roi. Celui-ci, évidemment, ne fut jamais sacré. A l’annonce de sa propre mort, le 8 juin 1795, son oncle devient roi sous le nom de Louis XVIII. Celui-ci ne pourra pas être sacré avant 1815 et il ne le sera finalement jamais. Le dernier sacre, en France, sera celui de Charles X, frère et successeur de Louis XVIII.
L’indisponibilité de la couronne est un principe fort de la monarchie française capétienne. Le roi ne peut pas choisir d’être ou non roi. Il l’est par sa naissance et le destin voulus par Dieu. Cela ne veut pas dire que, bien des fois, le principe subit quelques aménagements et reniements.
L’indisponibilité de la couronne mais seulement quand ça arrange
Lorsque Philippe IV le Bel maria sa fille aînée à son plus puissant vassal, Edouard II Plantagenêt (duc d’Anjou, de Normandie, d’Aquitaine… et roi d’Angleterre), il avait bien prévu que les filles ne pouvaient pas porter la couronne. Mais, suite à l’affaire des amants de la Tour de Nesle, on décida qu’il était pertinent que les filles (dont la princesse Jeanne, fille de Louis X, suspecte de bâtardise) ne puissent pas non plus transmettre la couronne (pour tous les détails sur cette sordide affaire, voir la très bonne saga Les rois maudits de Maurice Druon). Or cette décision était postérieure au mariage d’Edouard II Plantagenêt et celui-ci refusa ses effets. Une fois les trois fils de Philippe IV (Louis X, Charles IV et Philippe V) morts, la couronne aurait dû revenir à Edouard III (fils d’Edouard II et d’Isabelle de France) qui aurait réuni les couronnes de France et d’Angleterre en possédant déjà la moitié de la France. Or les grands féodaux choisirent donc de refuser la transmission de la couronne aux Plantagenêt en faveur des Valois, une branche cadette. L’indisponibilité de la Couronne n’est donc pas si absolue…
Un peu plus tard, le petit-fils de Louis XIV, Philippe d’Anjou, est devenu roi des Espagnes, en 1700, puis Roi d’Espagne, en 1716 sous le nom de Philippe V. Cet effet de la Guerre de Succession d’Espagne s’est faite avec une autre entorse à la règle d’indisponibilité de la Couronne : Philippe V a dû renoncer à toute prétention au trône de France pour lui-même et ses descendants. Louis XIV était suffisamment pourvu en enfants, petits-enfants, etc. pour que cette branche cadette partie en Espagne ne puisse normalement pas prétendre au trône. Donc l’entorse était, au départ, très théorique. Sauf que… La branche aîné des Bourbons avait donc perdu une branche avec l’exécution de Louis XVI et la perte de ses enfants, sans oublier le grand nombre de décès par maladies diverses. Louis XVIII, Charles X… tout va bien. Là, révolution, et le cousin Philippe d’Orléans prend le trône en 1830. Pour les « Légitimistes », Charles X est toujours roi. Puis son fils Louis XIX. Tous les deux ont renoncé au trône (indisponibilité de la couronne, vraiment ?). Reste le petit-fils Henri V. A la mort de celui-ci, sans descendance, on ressort l’indisponibilité de la couronne. En effet, en prenant en compte celle-ci, la renonciation de Philippe V devient nulle et ses descendants deviennent prétendants à la couronne. Sinon, si la renonciation est admise, la couronne passe à Philippe d’Orléans, qui l’avait obtenue par la révolution de 1830, puis à son fils. Horreur ! L’indisponibilité de la couronne, chose sacrée pour les Légitimistes, n’est vraiment rappelée que quand ça arrange bien celui qui l’invoque… Aujourd’hui, le trône de France est donc revendiqué par un Bourbon d’Espagne et par un Bourbon-Orléans. Il n’en demeure pas moins que la France est une République…
Un symbole fort jusqu’à l’excès
La mort de Louis XVI, le 21 janvier 1793, n’aura pas que des conséquences pratiques à long terme. Avec une hypocrisie digne d’eux, les Anglais vont s’offusquer et tirer prétexte de cette mort pour promouvoir l’idée d’une révolution barbare. Ils ont juste oublié l’exécution de Charles 1er en 1649. Cette exécution a d’ailleurs débouché, en Angleterre, sur une sorte de république aristocratique, le Commonwealth d’Angleterre, dirigée par Oliver Cromwell. Les exécutions de masse liées à la Terreur vont alimenter tout un imaginaire anti-français, jusqu’au roman Le Mouron rouge (The Scarlet Pimpernel en version originale) et ses nombreuses adaptations. Les Autrichiens ont davantage de raisons de s’offusquer, surtout quand Marie-Antoinette, fille de l’Empereur d’Autriche, est à son tour exécutée le 16 octobre 1793.
Bien des historiens viendront prétendre que la tendance monarchique des Français, jusqu’à choisir un Président qui ressemble à un roi sous la Cinquième République à partir de 1958, serait liée à l’exécution de Louis XVI. Il y aurait comme une sorte de regret à avoir commis collectivement un régicide. Rappelons que, sous l’Ancien Régime, le régicide était considéré comme une sorte de parricide car le roi est le père de son peuple. Ainsi, le régicide (François Ravaillac par exemple) ou celui ayant tenté le régicide (Robert François Damiens par exemple), subissent des supplices successifs liés aux différentes dimensions de leur crime : ablation du poing ganté de noir (parricide) et écartèlement (crime politique) principalement.
Or faut-il donner une telle importance à l’exécution de Louis XVI ? Certes, c’est la première fois (et la seule) qu’un roi est condamné à mort avec une procédure judiciaire en France. Mais les morts violentes de rois français ne sont pas si rares… Et les monarques ou autres dictateurs ne manquent pas de se faire régulièrement assassiner au fil de l’histoire. L’histoire antique gréco-romaine est pleine de dictateurs ou d’apprentis dictateurs qui meurent assassinés (César, Néron…). Charles 1er d’Angleterre aussi a bien été condamné à mort et exécuté ! Et le sort d’Edouard II relève bien, lui aussi, du régicide. En France, le chef d’Etat Philippe Pétain a également été condamné à mort mais pas exécuté (peine commuée) tandis que deux présidents sont morts assassinés (Sadi Carnot et Paul Doumer) et plusieurs autres ont failli l’être (Charles de Gaulle, Jacques Chirac…). L’assassinat est un risque du métier pour un chef d’Etat… et la condamnation à mort après un changement de régime, un sort courant pour les dictateurs et les rois.
Donc, concernant Louis XVI, pas la peine d’en faire tout un plat… Mais c’est malgré tout une bonne occasion de faire quelques rappels historiques et de raconter une belle histoire.