Mes têtes de turc du moment sont les Végans. Un autre billet récent intitulé « L’envahissante propagande végane » s’intéresse à eux et à leurs arguments. Mais un contre-argument souvent invoqué par eux mérite qu’on s’y attarde : si la norme de l’espèce humaine est de manger de la viande, pourquoi ne pas manger de la chair humaine ?
L’anthropophagie est un interdit très profondément ancré dans les valeurs sociales de la grande majorité des êtres humains depuis plusieurs millénaires. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que le cannibalisme a totalement disparu, ni même qu’il est toujours rejeté. Mais pourquoi cet interdit et est-il, finalement, justifié ?
L’auteur des « Ombres de Morbourg », où des criminels pratiquent le cannibalisme associé à des rituels sexuels, ne pouvait pas laisser cette question sans réponse.
Sur le plan purement alimentaire, on pourrait dire que de la viande est de la viande. Et, de fait, il est possible à un être humain de manger de la viande humaine. En cas d’urgence, cela peut encore être pratiqué. Le cas le plus célèbre est celui des victimes du crash aérien du Vol 571 des Forces Aériennes Uruguayennes le 13 octobre 1972. Pour survivre dans les Andes, à très haute altitude, les survivants ont dévoré les cadavres des morts.
De la même façon, des criminels ont pratiqué encore récemment le cannibalisme. Ceux-ci sont généralement reconnus comme fous. Un cas célèbre est celui de Issei Sagawa, étudiant japonais qui tua une Néerlandaise à Paris avant d’en manger plusieurs kilos.
En science-fiction, le cannibalisme redevient la norme sur une Terre surpeuplée et affamée dans le célèbre film « Soleil Vert ». Ce film américain d’anticipation a été réalisé par Richard Fleischer et compte Charlton Heston dans sa distribution. Sorti en 1973, il est inspiré du roman « Make room! Make room! » d’Harry Harrison.
Des civilisations dites « primitives » ont érigé le cannibalisme au rang de norme sociale. De nombreuses espèces animales ne se gênent d’ailleurs pas pour le pratiquer (ours mangeant des ours, loups mangeant des loups, lions mangeant des lions, etc.). Manger sa propre espèce n’est donc pas a priori un problème. Pourquoi l’évolution semble pourtant décourager cette pratique ?
Tout d’abord, il convient de distinguer plusieurs formes de cannibalisme. Certains arguments pouvant s’appliquer à certains cannibalismes et pas à d’autres.
Le premier argument est en effet celui de la stabilité sociale. Tuer quelqu’un dans son propre groupe social, c’est remettre en cause la stabilité de ce groupe. Le meurtre est ainsi la vraie raison de la condamnation de l’endo-cannibalisme.
Mais on peut rétorquer qu’on pourrait manger des cadavres de personnes mortes pour diverses raisons, sans meurtre. Par exemple, des victimes d’accidents de la route. Ou de maladie. Cette forme d’endo-cannibalisme est souvent religieuse et fait partie des rituels funéraires de nombreuses cultures. On peut présumer que nos ancêtres ne se gênaient guère pour manger des petits camarades écrasés par des mammouths pendant la chasse. Certains animaux pratiquant le cannibalisme de limitation des naissances (en mangeant une partie de leur portée), on pourrait l’imaginer aussi pour l’être humain.
Nous passerons sous silence, ici, le cannibalisme symbolique des Chrétiens : « mangez, ceci est ma chair, ceci est mon sang… » Le sujet est trop vaste pour ce billet mais on y reviendra sans doute un jour.
On en arrive à l’exo-cannibalisme. On peut manger des personnes extérieures à son groupe, plus spécialement des ennemis. Dans ce cas, pas de perturbation de l’ordre social. Au contraire, c’est une manière d’assurer la subsistance du groupe en cas de guerre : comme on n’a pas eu le temps de chasser, on mange le gibier que l’on a tué à la guerre.
Et c’est ainsi qu’on se retrouve face aux véritables problèmes liés au cannibalisme et qui justifient la très ancienne aversion pour cette pratique dès lors que la civilisation se développe. La raison est biologique.
En effet, par définition, les germes présents sur les cadavres de sa propre espèce sont les mêmes que ceux qui peuvent s’attaquer à soi. Le cannibalisme est donc générateur d’épidémies. Ce phénomène a sans doute été observé depuis des millénaires et a été érigé en « malédiction divine ».
Plus récemment, à cause de la Crise de la Vache Folle, une forme d’épidémie jamais identifiée jusqu’alors a été révélée : la transmission de prions. Ces protéines anormales peuvent provoquer une série de maladies assez graves. Notre connaissance de ces maladies reste à ce jour limitée mais les effets du cannibalisme ont sans doute été observés par les Anciens.
Mais de tels incidents sont loin d’être généraux. C’est donc la pratique régulière du cannibalisme qui a provoqué cette interdiction très ancrée dans nos valeurs actuelles. Les criminels, eux, s’affranchissent juste de l’interdiction du meurtre et leur consommation ponctuelle de viande humaine, surtout cuite, n’amène pas en général les inconvénients évoqués.