L’année 2009 fut une année Darwin où l’on célébra ses deux cents ans et les 150 ans de l’ouvrage fondateur de la paléobiologie moderne, De l’origine des espèces (1859). Le 24 février 2016, la revue Sciences et Avenir revint dans un bel article sur le sujet et me donna envie de m’y re-consacrer moi aussi.
Or donc, Charles Darwin fit scandale à son époque et maintenant encore dans certains milieux. Mais est-ce uniquement parce qu’il défendit une théorie de l’évolution ? C’est probablement inexact.
En effet, bien avant lui, Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet, chevalier de Lamarck, publia en 1809, année de naissance de Charles Darwin, Philosophie zoologique, sans provoquer pareil scandale. Pierre Teilhard de Chardin, au vingtième siècle, prouva qu’il était possible de créer une théorie de l’évolution qui soit compatible avec le christianisme traditionnel, sans faire non plus beaucoup de scandale. En tous cas, aucun autre évolutionniste ne fit et ne fait tant de scandale que le pauvre Charles Darwin.
Aujourd’hui encore, tous les intégristes religieux du monde ne s’en prennent (pratiquement) qu’à Charles Darwin. Ou, en tous cas, si un intégriste doit se choisir un ennemi unique pour concentrer sa haine, il choisit sans hésiter Charles Darwin, mais ni Lamarck ni même le « traître au Créationnisme » Pierre Teilhard de Chardin.
Une originalité philosophique au delà de la seule évolution
Il faut donc se rendre à l’évidence : ce n’est pas l’évolution en tant que telle qui heurte à ce point l’intégrisme religieux. Il faut également se pencher un peu mieux sur l’originalité de la théorie darwinienne pour comprendre cette haine.
Quand Charles Darwin émet sa théorie de l’évolution, il n’est pas le premier ni même le dernier à le faire. C’est une théorie scientifique et, comme telle, elle connaîtra des évolutions, notamment avec l’arrivée de la génétique, science qui n’existait pas à l’époque de Darwin : Johann Gregor Mendel est certes un contemporain mais, d’une part, la connexion entre les travaux des deux savants est inexistante ; d’autre part, Mendel est aux premiers prémices de la génétique.
Mais Lamarck, comme d’autres, et Teilhard de Chardin après lui, mettent au coeur de l’évolution un principe qu’il faut bien appeler divin. C’est explicite chez Teilhard de Chardin, c’est sous-entendu chez Lamarck. L’univers a une finalité, l’évolution fait donc partie d’un plan. A cette lumière, il est possible de comprendre les premiers chapitres de la Genèse sous une forme métaphorique, ce qui élimine, sous le prétexte de la licence poétique, d’ailleurs, les contradictions internes au récit (comme au chapitre 4, par exemple, lorsque Caïn trouve une femme qui ne devrait pas exister s’il était bien le Troisième Homme). Et puis, l’homme issu de la boue ne peut être que l’image d’un homme issu de ce qui précède, de ce qui pré-existe. d’une nature mal dégrossie, d’animaux sans âmes. Bref, la Genèse dissimulait une théorie de l’évolution et Dieu guida les justes à la découverte de la Vérité… Alleluiah !
Avec Darwin, ce petit jeu intellectuel est impossible. Et c’est là le drame.
En effet, la cruauté de la sélection naturelle, le hasard qui préside tout : voilà qui élimine Dieu. Nietzsche prétend que Dieu est mort ? C’est Darwin qui l’a tué ! Darwin a en effet tué le principe moteur de l’évolution, la finalité de l’univers.
Un monde amoral
Et aujourd’hui encore, l’acceptation de la cruauté de l’univers est encore un problème. Si vous rencontrez des végétariens qui vous accusent de spécisme (racisme anti-autres espèces) ou bien qui refusent de manger des animaux parce qu’ils refusent de tuer (par contre, ils tuent des plantes…), vous rencontrez en fait des gens qui refusent de s’assumer comme prédateurs, qui n’acceptent pas qu’il existe des rapports écologiques et que l’homme n’est qu’une espèce animale parmi d’autres.
Tuer ou être tué. Sans rémission. Sans raison autre que la sélection naturelle.
Charles Darwin a tué la finalité. Il nous a laissé un monde amoral qui perturbe même les athées.
Article publié le 23 février 2009 sur Le Cogiteur, légèrement revu.
Retrouvez cet article dans le recueil Soyons des individus Solidaires.