Je suis agnostique, ce qui signifie que ma réponse à la question « Dieu existe-t-il ? » est « je ne sais pas et je ne peux pas savoir ». C’est, à mon sens, la seule réponse rationnelle. Il n’en demeure pas moins qu’il est du droit de chacun de répondre autrement. Je peux avancer mes arguments. D’autres avanceront les leurs.
Mais il n’existe pas d’argument rationnel irréductible sur cette question. Il ne peut exister que des actes de foi : soit « Dieu existe », soit « Dieu n’existe pas ». Un acte de foi, c’est, en logique, ce qu’on appelle un postulat. Le problème est que beaucoup de gens qui sont persuadés d’être très rationnels refusent de reconnaître leurs postulats comme tels. C’est notamment le cas sur la question de Dieu.
En logique, tout commence par un (ou plusieurs) postulat(s). On peut ensuite définir des théories à partir du postulat et confronter ces théories à la réalité. Si la prédiction théorique rencontre la réalité perçue, la théorie est recevable. Mais, à partir de la théorie, redémontrer le postulat n’a, en logique, aucun sens. Tout ce que l’on peut en déduire est que le système de pensée est cohérent (ce qui est déjà bien, d’ailleurs).
On peut ainsi construire un ensemble théorique en partant du postulat que Dieu (n’)existe (pas) et, après avoir vérifié que la théorie collait à la réalité perçue, en déduire que Dieu (n’)existe (pas). Beaucoup de théologiens médiocres l’ont fait avec le postulat « Dieu existe », beaucoup de scientifiques mauvais philosophes l’ont fait avec « Dieu n’existe pas ». De beaux exemples de sophismes sont célèbres. Citons chez les pro-religieux le cas de Saint Anselme de Cantorbéry. Chez les athées, le prix Nobel de Médecine français Jacques Monod qui pondit « Le Hasard et la Nécessité » en 1970, livre auquel son collègue et co-prix Nobel François Jacob répondit avec « La Statue Intérieure ». La confrontation de ces deux Prix Nobel est, au passage, un rappel du manque de valeur de tout « argument d’autorité » : le fait que Untel, prix Nobel, ou grand spécialiste de ceci ou cela, ait dit quelque chose ne signifie nullement que ce dit est une Vérité.
L’autorité d’un locuteur n’est pas une preuve de son discours.
Si on respecte le droit naturel de chacun à croire ce qu’il veut, nul ne peut dire d’un autre qu’il est stupide parce qu’il choisit tel ou tel postulat. Du point de vue de la valeur intellectuelle, un raisonnement cohérent se basant sur « Dieu existe » vaut autant qu’un raisonnement se basant sur « Dieu n’existe pas ».
La différence entre un individu rationnel tolérant et un individu dogmatique est sur la conscience des postulats. Le dogmatique niera qu’il utilise des postulats et prétendra que ce sont là des Vérités. L’individu rationnel admettra ses postulats comme tels.
On est habitué, à notre époque en Occident, à dénoncer le dogmatisme religieux. Mais tout dogmatisme, parce qu’il est intolérant, est néfaste. Joseph Staline était autant dogmatique que la Sainte Inquisition mais là où la Sainte Inquisition affirmait comme une Vérité « Dieu existe », Joseph Staline affirmait avec la même certitude et sur le même ton d’évidence « Dieu n’existe pas ». Joseph Staline a probablement provoqué plus de morts que la Sainte Inquisition.
Le cas de Jacques Monod est, de ce point de vue, très intéressant. Il part du principe que Dieu n’existe pas. Il explique alors que beaucoup de choses obéissent à des lois physiques ou chimiques. Comme il ne trouve aucune nécessité de Dieu dans l’application quotidienne des lois régissant notre monde, il en déduit que Dieu n’existe pas. Autrement dit : Dieu n’existe pas, donc les lois régissant notre monde n’ont pas besoin de Lui pour exister, donc Dieu n’existe pas. Beau sophisme, non ? Même les prix Nobel peuvent dire de grosses conneries quand ils sortent de leur champ de compétence…
Des erreurs de logique aussi grosses que celles-là sont légions dans l’Histoire.
Plusieurs arguments classiques dans l’un et l’autre camp, « Dieu existe » ou « Dieu n’existe pas », visant à démontrer le postulat afin d’en faire une vérité scientifique peuvent être anéantis simplement en jouant sur la logique pure.
L’argument du Créateur est l’un des plus classiques. « Puisque le monde existe depuis un certain temps (Big Bang par exemple), c’est que quelque chose ou quelqu’un l’a créé ou en est à l’origine ». Le premier argument est simple : qui a, dès lors, créé le Créateur ? Si créer le créateur n’a pas de nécessité, pourquoi créer le monde en aurait-elle ? Une fois le croyant déstabilisé par cette première double question, on peut en ajouter une deuxième : le temps étant une composante de l’univers, il a donc été créé en même « temps » que lui. Parler d’« avant » le début de l’univers est donc un non-sens.
Dans le camp des athées, j’appelle maintenant Sigmund Freud. Pour lui, Dieu n’existe pas donc si nous croyons en lui c’est que notre psyché a besoin d’un père symbolique, donc Dieu n’existe pas. Pour faire éclater le caractère de sophisme de ce raisonnement, il suffit de le déplacer sur un terrain plus simple que la question de Dieu. Demandez-vous s’il vous arrive d’avoir faim. La réponse sera normalement positive. Vous avez donc besoin de nourriture. Donc vous croyez en l’existence de la Nourriture. Par conséquent, la nourriture est une pure création de votre esprit afin de vous rassurer. Zut, vous avez payé trop cher le contenu de votre réfrigérateur qui n’est qu’une illusion. Le sophisme est plus évident comme cela, non ? On peut reformuler l’argument de la manière suivante : que l’on ressente le besoin de quelque chose ne prédispose aucunement à l’existence ou à la non-existence de ce quelque chose.
On peut continuer longtemps comme cela. Chaque camp utilise des méthodes rhétoriques en général très basiques et qui ne résistent pas à la logique.
Enfin, je ferais remarquer que, dans tout ce qui précède, je n’ai jamais défini le concept « Dieu ». Qui, parmi vous, en a été gêné ? Soyez honnête en répondant. Et pourtant il existe autant de définitions du concept qu’il existe de philosophies religieuses. Comment peut-on discourir autant sur un concept non défini ?
Croire ou ne pas croire est un acte de foi pure. Il faut en être conscient. Cela évite de dire des conneries ou de prendre ceux qui ne sont pas d’accord avec soi pour des idiots.
Retrouvez cet article dans le recueil Soyons des individus Solidaires.
Pour certains athée pragmatiques, la position agnostique pose problème. Elle met sur le même plan conceptuel l’idée issue d’une croyance et celle issue de l’interprétation d’un phénomène observable. Peut on dire que ne pas avoir une explication sur un phénomène observable et dire que l’on ne se positionne pas sur les explications possibles de ce phénomène est identique au cas d’un concept issu des croyances. Je ne le penses pas. Les agnostiques ne traitent pas de ce problème et on ne comprend pas leur manière de classer les idées et de leur attribuer un statut de réalité. Pour eux, le seul fait de ne pas savoir suffit a attribuer une potentialité d’existence.
Mais, dans ce cas, tout peut exister et l’activité scientifique, observationnelle, analytique n’a plus de sens.
N’est il pas plus pragmatique et raisonnable de dire que l’idée de dieu relève purement du domaine des croyances et que tant que cela ne changera pas, il n’y a aucune de raison de croire en la validité de ce concept comme en tout autre concept inobservé ?
Pas du tout. Nous observons l’univers mais c’est tout ce que nous observons. La question de dieu concerne la cause et la conséquence (ou la finalité) de l’univers (pas de tel ou tel micro-phénomène), éléments qui, précisément, ne sont pas observables et ne peuvent pas être étudiés par l’expérience. Nier cause et conséquence sous le prétexte qu’elles ne sont pas observables n’est pas rationnel.