Aujourd’hui, en France, quoiqu’il arrive, un salarié licencié est considéré comme subissant un préjudice. L’employeur avait le devoir de maintenir l’emploi de cette personne. Du coup, l’employeur, quelque soit sa situation ou ses raisons, se doit d’indemniser le licencié sauf si celui-ci a commis une faute tellement grave que le licenciement s’imposait. C’est (presque) unique au monde.
C’est la philosophie même de cette règle qui est néfaste. Autant pour les entreprises que pour les salariés.
Rien ne doit changer
Car que sous-entend cette règle ? Un salarié doit entrer dans une entreprise et y rester. Il y entre jeune et il en sort pour prendre sa retraite. La logique de la risible « médaille du travail » est la même.
Il serait étonnant que l’entreprise disparaisse ou change de modèle. Il serait extraordinaire que le salarié soit à ce point infidèle et pervers qu’il ait envie d’aller voir ailleurs, de changer d’entreprise ou, pire, de métier. Et pourquoi le salarié aurait-il envie de créer sa propre entreprise ? Il est né salarié de telle entreprise, il mourra salarié de telle entreprise. Bref, rien ne change, tout est immuable et une rupture doit donc se faire dans la douleur.
Le préambule de la Constitution de 1946, toujours en vigueur en 2016, alors que j’écris ce texte, prévoit également un « droit au travail », pas un « droit à être rémunéré et un devoir de travail » mais bien un « droit au travail ». C’est dire à quel point le droit français et la culture française ont un rapport pour le moins étrange avec le travail et plus largement avec les entreprises.
Dans la plupart des autres cultures, la France n’étant pas tout à fait unique, le mouvement est la règle. Dans les pays anglo-saxons, il y a même un culte du mouvement. Avec ses excès. Nous y reviendrons.
Côté entreprises, cette rigidité et le coût induit est très préjudiciable. Comme il est difficile de licencier, l’embauche n’est opérée qu’avec mille précautions et vraiment s’il est impossible de faire autrement. Le résultat en est un chômage de masse.
Difficile de licencier, c’est surtout difficile de changer, d’opérer des mouvements. Un marché s’effondre ? Il faut se retirer. Vite. Un marché est prometteur ? Il faut y investir. Les hommes utiles peuvent et doivent changer.
Le contrat de travail est un contrat. Il doit y avoir des facilités pour le rompre. Et d’ailleurs, la rupture négociée (ou « conventionnelle ») est très populaire depuis qu’elle existe. Et personne ne s’en plaint.
A l’heure de la révolution numérique, la flexibilité est nécessaire. Et cette flexibilité est aussi un bénéfice pour l’individu. Je ne note pas « salarié » mais bien « individu ». Car l’individu doit pouvoir, un jour, être salarié et le lendemain indépendant ou créateur d’entreprise. Et redevenir salarié plus tard. Et changer dix fois de métier dans sa vie.
De la même façon, la formation se fait dans le cadre de l’entreprise, selon les besoins de l’entreprise. Ou bien, si l’individu est chômeur, selon les plans prévus par l’Etat. Jamais il n’est permis à l’individu de choisir l’évolution de sa carrière.
Pour des individus libres, responsables et protégés par la solidarité
Changeons les règles ! Surtout, changeons la philosophie de ces règles ! Nous sommes au XXIème siècle ! Les entreprises doivent pouvoir changer rapidement tant les technologies changent rapidement et les modèles économiques sont bouleversés régulièrement.
De leur côté, les individus doivent maîtriser leur carrière. Mais, et c’est important, cette flexibilité ne doit pas se traduire par de la misère, de la précarité. La solidarité est une nécessité. Simplement, il ne faut pas se tromper de combat et faire reposer sur les entreprises ce qui doit reposer sur la solidarité nationale.
Changer de métier doit être naturel. Mais ce changement doit être maîtrisé. C’est bien l’individu qui doit choisir son évolution, même s’il doit, le cas échéant, être guidé, accompagné. Rendons les frais de formations déductibles du revenu pour les salariés investissant dans leur formation, leur employabilité ! Encore une fois, ne confondons pas les devoirs de l’Etat et ceux des entreprises. Et laissons les individus libres.
Arrêtons de tourner autour du pot. Quel devrait être le système idéal à mes yeux ?
Tout d’abord, changer d’entreprise doit être normal. Ce n’est pas un drame. Quand une entreprise souhaite se séparer de l’un de ses salariés, elle ne lui devrait rien qu’un préavis raisonnable. En cas de faute du salarié, ce préavis pourrait être supprimé. Mais, à l’inverse, si l’entreprise avait commis une faute (harcèlement, non-respect du droit…), une indemnité réellement dissuasive devrait pouvoir être versée au salarié, augmentée le cas échéant d’une amende.
Du coup, l’entreprise pourrait embaucher sans vrai risque. Et, de ce fait, elle embaucherait plus facilement.
Pour une vraie solidarité nationale
Si le salarié perd son emploi, il perd également son revenu. Mais c’est également vrai si un travailleur indépendant se retrouve sans client. Ou si un chef d’entreprise voit sa firme faire faillite.
C’est là où la solidarité nationale doit prendre le relais. La perte du revenu lié au travail est un risque similaire à n’importe quel autre risque qui se réalise involontairement : maladie, catastrophe naturelle…
L’Etat se devrait dès lors de couvrir ce risque sans se poser mille questions. Et surtout sans imposer un véritable préjudice aux individus qui changent souvent d’emplois : les fameuses périodes de carence. Si changer d’emploi doit être naturel, il doit être possible de multiplier les emplois de courtes durées.
Si l’indemnisation est immédiate dès la perte involontaire d’emploi (salarié ou non) et automatique, il n’y a plus de raison de lutter contre la flexibilité.
Lutter contre les abus
Bien sûr, dès que l’on parle de règle simple, surgissent les aboyeurs craignant les abus. Abus des entreprises qui vont tenter de licencier tous les non-soumis à des chefs pervers. Abus des individus qui vont chercher à travailler le moins possible.
Concernant les abus des entreprises, il existe des moyens très simples d’agir. D’abord, il faut imposer un motif au licenciement. Et ce motif doit être vérifiable. Comme l’Etat prend en charge le salarié dès qu’il perd son emploi, c’est l’Etat qui subit un véritable préjudice en cas d’abus. Et donc l’entreprise devrait, dans cette logique, subir de lourdes amendes en cas d’abus de licenciements.
Si un « licenciement économique » est opéré alors que l’entreprise est très bénéficiaire et aurait pu financer une restructuration, il est préférable d’agir par l’impôt. On peut imaginer un bonus ou un malus sur l’impôt sur les sociétés en fonction du bilan net des emplois sur l’exercice, bilan général ou bilan spécifique sur des populations particulières (comme les handicapés). Plus l’entreprise est bénéficiaire, plus un malus lui fera mal. Si l’entreprise est déficitaire, l’impôt est de toutes les façons nul. Un malus serait donc indolore. Et une entreprise en difficultés pourrait dès lors supprimer des emplois sans risquer de disparaître, gardant ses forces pour rebondir.
Retrouvez cet article dans le recueil Soyons des individus Solidaires.