Deux affaires récentes viennent rappeler à quel point le populisme peut s’emparer des bons sentiments. Même et surtout quand il s’agit de jouer avec des gens qui se veulent gentils pour bien les manipuler. Par exemple quand il s’agit de défendre les droits des femmes, cas que nous allons voir, comme, en d’autres circonstances, la cause animale. Le sirupeux se mélange au sordide pour étouffer toute raison.
La première de ces affaires est celle du Burkini. La deuxième celle de l’éventuelle libération très anticipée d’une assassin, l’affaire Jacqueline Sauvage.
Les paradoxes du burkini
Très régulièrement, les intégristes de tous poils plaident, assez curieusement, pour la tolérance. Catholibans, sionistes et salafistes n’ont pas de leçons à se donner entre eux : ils adoptent souvent la même stratégie. Dans le cas d’espèce, il s’agit des intégristes musulmans qui plaident pour la tolérance à l’égard d’une pratique assez curieuse au XXIème siècle : le maillot de bain burka, baptisé ironiquement Burkini. En gros, il s’agit de bien voiler la femme, même à la plage. Auparavant, une crise similaire a éclaté, il y a plus de vingt ans, sur la tolérance du voile lui-même puis de la burka. Un modus vivendi s’est installé : interdiction absolue pour les fonctionnaires et dans les écoles, tolérance d’un voile ne couvrant pas le visage dans les autres cas.
Le résultat est simple : aujourd’hui, dans de nombreux cas, une femme considérée comme musulmane (en gros : immigrée un peu bronzée) non-voilée est harcelée par les intégristes, souvent traitée de putain, voire pire. Cela plaide pour une rigueur absolue et un refus du voile tout autant absolu. Demain, la généralisation du Burkini pourrait autant s’imposer à cause du harcèlement, au moins chez les personnes ayant un certain bronzage naturel.
Mais, et c’est là que l’on se retrouve face à une contradiction, peut-on obliger une femme à être libre et à refuser la soumission dont le voile ou, pire, la burka sont le symbole ? Les salafistes ont beau jeu de rappeler que, jadis, au début du vingtième siècle, les femmes se voilaient aussi en Occident ou avaient des maillots de bain très couvrants proches du burkini. De là à considérer que l’interdiction du burkini est du racisme anti-musulmans… La faiblesse du raisonnement tient évidemment dans le combat féministe qui a eu lieu au vingtième siècle. L’égalité hommes-femmes est actée, au moins dans les textes, en Occident. Et c’est ce combat qui est repris par les Salafistes, pour faire perdre de nouveau les femmes.
Mais, répétons le problème, le dilemme, la contradiction dans les termes : peut-on forcer à être libre ? La soumission acceptée par une femme fait-elle partie de sa propre liberté ? Beau sujet pour un vrai débat politique ou une épreuve de philosophie du baccalauréat. Et qu’on peut aussi retrouver, quelque part, dans les cas de violences conjugales « acceptées » durant des années.
Nier la responsabilité des femmes, c’est nier leur égalité
La deuxième affaire joue encore plus sur le sordide. Nous partons bien sûr du principe qu’une femme est libre, donc autant responsable de ses actes qu’un homme. Elle est libre, donc elle peut porter plainte, divorcer, requérir la protection de la Loi qui lui est largement accordée.
Contrairement à ce que certains politiciens en manque de publicité prétendent, en voulant importer le concept de légitime défense différée issu du droit canadien (concept qui ne semble exister qu’au Canada sur plus de 200 pays membres de l’ONU), l’état psychologique d’un meurtrier est, en France, pleinement pris en compte pour juger de sa responsabilité. L’article 122-1 du Code pénal dispose en effet, dans son premier alinéa, que « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » (Article pédagogique sur le sujet) Si , suite à des violences conjugales, le contrôle de ses actes échappe à l’un des conjoints qui tue l’autre, il y aura non-lieu. Pas légitime défense mais irresponsabilité donc non-lieu. Point. Dans l’affaire Jacqueline Sauvage, cette irresponsabilité a été écartée par les deux cours autant que la légitime défense.
Les violences conjugales existent depuis sans doute toujours. Il y a davantage de morts de femmes que de morts d’hommes, c’est un fait statistique. Soit. Mais, en France, au XXIème siècle, une femme battue ou maltraitée est toujours libre de refuser la maltraitance. La Loi prévoit sa protection, le cas échéant celle de ses enfants, y compris son hébergement ou l’éloignement forcé d’un conjoint violent.
Trop souvent, cependant, la maltraitance des hommes par les femmes est négligée, oubliée, niée. Il est vrai qu’elle est souvent plus psychologique que physique et n’en est que plus difficile à prouver. Il existe cependant de nombreux cas de femmes tueuses en série, souvent par empoisonnement là où les hommes utiliseront plutôt des armes à feu ou des armes blanches. Statistiquement, les modes opératoires sont donc différents.
Mais les hommes peuvent autant être victimes que les femmes.
Considérer par nature qu’une femme est pure et innocente et qu’un homme est, aussi par nature, un pervers sadique en puissance, c’est nier les faits. Et c’est, encore une fois, nier le combat féministe, nier l’égalité des sexes. Hommes comme femmes peuvent être victimes. Femmes comme hommes peuvent être bourreaux. Il n’y a aucune prédestination sexuée à jouer l’un ou l’autre rôle.
En effet, si une femme n’est pas responsable de ses actes, au même niveau qu’un homme, elle n’est pas son égale. Tout au plus est-elle un animal domestique, voire un meuble. Si les femmes sont des êtres humains, elles sont responsables de leurs actes au même titre que les hommes. Ce point ne peut pas être discuté sauf à remettre en cause l’égalité des sexes.
Donc, quand une femme prend un fusil et va abattre un homme assis, de dos, qui ne la menace pas (du moins à ce moment précis), elle est une assassin. L’assassinat est le fait de tuer de manière volontaire avec préméditation. C’est le crime qui est au sommet de la pyramide des crimes dans le Code Pénal. Il est passible de la peine maximale : jadis, la peine de mort, aujourd’hui la réclusion à perpétuité avec une peine de sureté incompressible de 30 ans. Une femme a toujours la liberté formelle de partir, de quitter un mari violent. Bien sûr, il y a les pressions psychologiques, la peur de perdre un statut ou des revenus, etc. La responsabilité, c’est faire des choix. Et les assumer. L’assassinat est un choix. Partir (le cas échéant sous la protection du dit fusil chargé) et porter plainte aurait été un autre choix. Dès lors qu’une décision de tuer est prise, il ne peut plus être fait mention d’une « emprise psychologique » : celle-ci a été brisée sinon le crime est impossible.
L’affaire a fait grand bruit. Et l’assassin s’est défendue en traçant un portrait peu flatteur de la victime. Le mari assassiné est donc devenu un psychopathe violent, violeur, pédophile, incestueux, etc. Bizarrement, jamais de plainte déposée en… 47 ans ! Il ne s’agit pas ici de refaire le procès sans disposer de tous ses éléments. Quoiqu’il en soit, après une longue instruction (obligatoire en matière criminelle) et deux procès d’Assises (première instance et appel), avec intervention de dizaine d’acteurs -voire des centaines- autant femmes que hommes et disposant du dossier complet de l’affaire, la légitime défense a été écartée (tirer dans le dos impliquait en effet ce rejet). L’irresponsabilité également. Mais des circonstances atténuantes ont été retenues. Plutôt que la perpétuité avec trente ans de sureté, l’assassin a été condamnée à une dizaine d’années de prison. C’est ramener, en termes de sanctions pénales, son geste au niveau de l’homicide involontaire par imprudence.
Certes, en audience, lors de sa plaidoirie, le procureur a fait une petite erreur de calcul sur les remises de peines. Du coup, le Président de la République, cédant à une certaine pression de l’opinion publique, a accordé une grâce partielle permettant de rétablir le calcul initial réalisé par le procureur et qui avait été approuvé par les jurys. Notons que la Défense n’a pas relevé l’erreur, très technique.
Plutôt que des faits, de l’émotion. Plutôt que du droit, de l’idéologie.
Depuis le départ, la défense a une stratégie non-juridique. Le cas d’un assassin est difficile à défendre. Tout a donc été déplacé du terrain des faits à celui de l’émotion, du droit à l’idéologie. Cette femme est forcément innocente car femme de conjoint violent. Cette femme s’est défendue contre ce salaud d’homme. Défendons les victimes de violences conjugales.
Rien, absolument rien, dans ce discours, ne concerne l’affaire précise en question. C’est un discours se basant sur des statistiques, des principes moraux généraux. Cette stratégie de rupture repose sur le pataquès médiatique, faire du scandale, rendre l’affaire politiquement puante pour qu’une intervention populiste du pouvoir politique aboutisse à l’objectif initial : la libération d’une criminelle.
Mais les faits sont têtus. Et les juges aussi. Ils sont payés pour ça : faire du droit, pas de l’idéologie, en se basant sur les faits, pas sur l’émotion saisissant les pleureurs dans les chaumières.
Si l’assassin est finalement susceptible d’être libérée par anticipation, encore faut-il que la procédure d’application des peines aboutisse à une décision de libération. Or, nouveau scandale pour les défenseurs de l’assassin : les juges résistent et refusent de libérer la pure et innocente criminelle.
La stratégie de rupture a en effet un effet collatéral : l’assassin, qui ne nie pas les faits (il n’y aucune espèce de chance qu’il s’agisse d’une erreur judiciaire sur le mode Outreau ou Dreyfus), est persuadée d’être une pure victime innocente puisque c’est ce que répètent son avocat et ses soutiens. Or une libération anticipée suppose que le condamné ait accepté psychologiquement sa culpabilité et ait amorcé le travail sur lui-même pour permettre sa réintégration dans la société. Ce travail psychologique manque et semble ne pas pouvoir commencer dans l’affaire Sauvage. Or, si, pour la criminelle, tuer peut être légitime, n’est-elle pas toujours dangereuse ? Certes, elle ne peut plus tuer un mari, mais pourrait-elle donner un coup de volant si elle se fait doubler en voiture par un motard mâle arrogant ? Si tuer un homme n’est pas un crime pour une pauvre femme…
Le populisme comme échappatoire face aux faits et au droit
Toujours aujourd’hui, les « soutiens » de l’assassin continuent de tenir un discours qui ne s’appuie ni sur le droit ni sur les faits. Des généralités, des bons sentiments, de quoi faire pleurer dans les chaumières. Les faits sont têtus, le droit rigoureux : cela ne fait pas leur affaire.
Le discours de la défense peut malgré tout aboutir à une nouvelle intervention populiste, une nouvelle mesure de grâce, à l’aube d’une élection présidentielle qui s’annonce difficile pour le pouvoir en place. Satisfaire des pleureurs remplis de bons sentiments est en général payant dans les urnes. Cela s’appelle du populisme. Ce sont les mêmes pleureurs remplis de bons sentiments qui, plus tard, exigeront que des délinquants soient enfermés à vie alors que leurs infractions seront bien mineures en regard d’un assassinat.
Les deux perdantes seront alors clairement désignées : les femmes, dont la responsabilité et donc leur égalité avec les hommes et leur liberté auront été niées ; la justice, dont les principes seront niés en piétinant l’état de droit.
Et dans mes romans ?
Ai-je abordé les cas de violences et de soumissions entre hommes et femmes dans mes romans et mes nouvelles ? Oui, de nombreuses fois. Bien entendu, on ne fait pas de bonnes histoires avec de l’eau tiède. Quand violence il y a, elle n’est pas en demi-mesure. Mais, par contre, j’ai su -du moins je l’espère- être plus subtil que les « défenseurs » de telle ou tel assassin.
Dans Douze Mois, l’homme est la première victime. Dans le cycle de Morbourg, les membres d’une secte pratiquant des violences et des meurtres sur des jeunes filles sont assassinés par une vengeresse. Le cas le plus intéressant est, cependant, probablement Le Violon : l’homme est initialement le coupable, un coupable qui est conscient de sa culpabilité, mais la femme y est plus trouble qu’on ne le croit au départ. Plus classiquement, dans Vacances Plagiées, la première nouvelle du recueil Le Temps Perdu ne l’est pas pour tout le monde, on rencontre une veuve noire. Ce ne sont là que les principaux exemples.