La notion de Dieu, sa définition, est très variable dans le temps et selon les cultures. Or le mot, lui, ne change pas. La confusion est souvent totale et les disputes basées sur des malentendus. Et si on essayait d’y voir plus clair ?
Les archéologues ont parfois de grandes difficultés à définir si un squelette est humain ou non, s’il appartient à une race de grands singes développés ou au contraire à un humain primitif. Deux critères sont souvent retenus: la présence ou l’absence d’outils et la présence ou l’absence d’une «mise en scène» de la mort (position particulière et artificielle du cadavre, tombe creusée manuellement, statuettes ou objets divers placés à ses côtés, etc.).
Ce deuxième critère seulement retiendra aujourd’hui notre attention. La spécificité de l’Homme, par rapport à toute autre créature, est en effet de pouvoir posséder une religion et celle-ci commence avec la conscience de la mort, de sa propre mort.
En naissant, l’homme créé Dieu
Bien évidemment, l’athée dira que c’est là la preuve d’une activité cérébrale évoluée, de la capacité à se poser des questions et il affirmera que si le Primitif se pose des questions, lui, l’Evolué, a donné une réponse : Dieu n’existe pas.
Or, avant de se poser la question de l’existence ou non de Dieu, il convient de définir le mot. La question de Dieu a reçu bien souvent des réponses très contestables, sur lesquelles se sont battis les principales (en quantité) offensives athées, celles glosées dans le grand public par l’athée primitif.
La question de Dieu se pose progressivement dès l’aube de l’humanité. On pourrait définir à ce moment Dieu comme «Le Grand Inconnu», tout ce qui échappe à la conscience humaine. C’est le Dieu combattu par les athées les plus primitifs. C’est le Dieu-Arbre, le Dieu-Fleuve, le Dieu-Orage et le Dieu de la Mort, qui engendre le Destin. L’homme ne comprend pas ce qui anime ces éléments de la nature et y voit donc l’oeuvre d’une conscience ou, plus exactement, d’une multitude de consciences. Certains dieux se verront parés d’une aura bénéfique, d’autres d’une aura maléfique, selon que les phénomènes qu’ils représentent sont positifs ou négatifs pour la peuplade. La mer, les lacs et les rivières sont dangereux et, bien que l’on puisse y nager ou y naviguer, le risque de se noyer existe. Les esprits des eaux seront donc presque toujours négatifs.
Un concept qui évolue dans l’histoire
L’avancée de la conscience fait progresser le concept de divinité en même temps que chaque conceptualisation apparaît. Il n’existe plus un dieu par arbre mais un dieu des arbres. Les phénomènes naturels sont souvent tantôt positifs, tantôt négatifs. Les Puissances qui les animent sont donc dotées d’une personnalité, d’un caractère changeant, tout comme l’être humain, tantôt de bonne humeur, tantôt de mauvaise, tantôt bon et tantôt mauvais. Ainsi naissent les Dieux de l’Olympe. A ce sujet, je conseille fortement l’ouvrage paru aux éditions Marabout (La Mythologie, par Edith Hamilton, Ed. Marabout 1978, © 1940 pour l’original), qui est une référence.
Les Grecs, poètes, feront de la surenchère permanente sur les histoires, très humaines, de leurs dieux. On dit que les Celtes Galates, envahissant la Grèce plusieurs siècles avant notre ère, auraient éclaté de rire devant les statues de dieux: donner une forme humaine à des Puissances de cet ordre ne pouvait qu’être ridicule.
La Mort rode toujours et soutient le socle de la religion. Ainsi, chez les Grecs, Vulcain règne sur les Enfers. Précisons que l’époque de l’antiquité classique ignore un quelconque jugement des âmes. Pour les scandinaves, la Mort est même plus forte que les Dieux, qui devront périr un jour et cette pensée pèse sur les convives d’Odin.
Les dieux deviennent principes universels
Avec l’avancée de la pensée, les dieux se retrouvent soumis à des principes plus grands qu’eux, les «Dieux des Dieux» en quelque sorte, des Dieux que nul humain ne peut invoquer. Ainsi, chez les Grecs, outre la Mère Suprême, Gaïa, la Terre, et son mari Ouranos (le Ciel), les dieux semblent eux aussi soumis au Destin, quoiqu’ils fassent pour tenter d’y échapper, par exemple tenter d’arracher par la torture le secret de Prométhée. Ces forces semblent au delà de toute compréhension humaine et de tout caractère humain.
Jusqu’à présent, nous avons vu les conceptions très classiques des dieux. Notons dès à présent que chaque peuple a, pour l’instant, sa propre religion. Elle est liée à sa naissance et la notion même de conversion est absurde: on ne peut pas renaître du ventre d’une mère d’une autre tribu.
Ces dieux sont des personnes qu’il faut ménager pour en obtenir des grâces. Il est évident que cette conception surnage jusqu’à notre époque dans tous les cultes ayant pour objet d’obtenir des miracles. Les Romains, individus très pragmatiques, s’attacheront toujours à ne pas ennuyer de trop les dieux de leurs ennemis, de peur qu’ils ne se fâchent contre eux (Pax Deorum) et iront souvent jusqu’à sacrifier, avant toute bataille, certes, à leurs dieux mais aussi aux dieux de leurs adversaires. La religion romaine est surtout celle des Numina (les Puissances). Les Numina ne prendront une forme identifiable que grâce à la poésie des Grecs. Le polythéisme grec ou romain classique n’est que l’évolution de l’animisme. Pour d’autres peuples ou même pour les Grecs du IVème siècle avant Jésus Christ, le cas est souvent plus complexe.
Naissance des dieux modernes
En Mésopotamie et dans la vallée de l’Indus vont apparaître les conceptions modernes de Dieu: le Mazdéisme et l’Hindouisme. Chacune de ces conceptions aura son réformateur, vers le VIème siècle avant Jésus-Christ: Zarathoustra et Siddartha Cakyamuni, Prince Gautama. La première originalité de ces conceptions est d’être universelles: elles ne s’attachent pas à une tribu et tout à chacun, quelque soit son origine, peut y croire.
Dieu devient alors enfin ce qui est défini par Le Robert: «Principe d’explication de l’existence du monde, conçu comme un être personnel, selon des modalités particulières aux croyances, aux religions». La notion de personnalité est d’ailleurs contestable, au moins dans l’Hindouisme et même dans la religion pharaonique de l’Egypte antique (voir Le Un et le Multiple, de Erik Hornung, Ed. Flammarion 1992, © 1971 pour l’original). Zarathoustra est l’inventeur du Jugement des âmes et de l’Enfer.
La religion à visée universelle est donc très récente au regard de l’ensemble de l’histoire de l’homme. Jusqu’à cette époque, tous les peuples ont leurs dieux tutélaires, y compris, par exemple, les Juifs, que l’on prétend monothéistes. En fait, leur seule particularité était de disposer d’un seul dieu tutélaire (totémique) alors que tous les peuples environnant (du moins selon nos connaissances) en avaient une multitude. Mais ils croyaient, jusqu’à la déportation à Babylone (et sans doute en partie au delà), en l’existence d’autres dieux d’autres tribus. Nous en avons une preuve évidente dans les premiers chapitres de la Bible. Dieu créé l’homme sous la forme de l’individu unique Adam (Genèse I-27 et II-7) puis il lui adjoint Eve (Genèse II-22). Au début du chapitre 3 de la Genèse nous sommes donc en présence de deux êtres humains en tout et pour tout: Adam et Eve. Ceux-ci vont avoir deux enfants: Caïn puis Abel (Genèse IV-1-2). Soient donc quatre humains en tout. Caïn tue Abel (Genèse IV-8): restent trois humains. Caïn quitte alors Adam et Eve mais cela ne l’empêche nullement de trouver une femme (d’où vient-elle?) du pays de Nod et d’avoir une descendance. Je passe, bien sûr, sur les innombrables incestes nécessaires pour assurer la descendance d’Adam et Eve via Seth, leur troisième fils. Ce récit n’a jamais choqué aucun Juif de l’époque. Les Juifs de l’époque n’étaient d’ailleurs nullement tentés de n’y voir que des symboles (ce sera une tendance beaucoup plus tardive), simplement parce qu’il était évident pour eux que Caïn avait trouvé une autre tribu qu’Israël, créée par autre Dieu et que toutes les filles requises pour les mariages des descendants mâles (seuls cités) d’Adam et Eve furent également prises dans les tribus voisines tandis que leurs filles pouvaient trouver maris dans des conditions similaires mais quittaient alors la tribu d’Israël et donc la juridiction de Yahvé pour rejoindre celle d’autres dieux, ceux d’autres tribus, d’autres cieux dans tous les sens du terme.
Trois conceptions religieuses
Nous avons donc enfin, vers le fameux VIème siècle avant Jésus-Christ, les trois conceptions possibles de Dieu (qui induisent également trois conceptions du monde):
1) Un Dieu est une personne avec un caractère plus ou moins humain qui peut nous nuire ou nous protéger et qu’il convient de ménager voire d’honorer. C’est la religion des Humbles, encore aujourd’hui. C’est celle qui veut des miracles. C’est cette conception là de Dieu que Freud attaquera car c’est, bien sûr, la religion du commun des mortels, dans tous les pays, à toutes les époques, même dissimulée derrière une conception plus intellectuelle. C’est cette conception de Dieu qui énervera tous les intellectuels, tous les humanistes, de Voltaire («On dit que Dieu a fait l’Homme à son image, celui-ci lui a bien rendu») à Marx.
2) Dieu est le Créateur, le Père (au sens mystique du mot, quoiqu’en dise Sigmund Freud). C’est la conception théiste de Dieu qui est certes une personne extérieure à sa création, le Monde, mais en demeure le Principe. Il est juste et bon. Il est Amour. C’est le Dieu, par exemple, de Jésus le Nazoréen (Joshua Ben Youssef Ben David pour l’état civil) ou bien de Voltaire (le Grand Architecte) ou même de Robespierre (l’Etre Suprême).
3) Dieu est le Principe du Monde. Créateur et Création ne font qu’un. C’est la conception panthéiste de Dieu. C’est celle de l’Hindouisme, du Bouddhisme et du Tao.
Trois manières de refuser la religion
A ces conceptions de Dieu répondent bien sûr des contre principes, de ceux qui refusent de croire en un dieu (qui induisent là aussi également trois conceptions du monde):
1) La conception freudienne : Croire en un Dieu protecteur est une réaction psychologique face aux angoisses, notamment celle de la mort. Dieu est le Père des adultes. Freud n’oublie qu’un détail qui le rend à mes yeux, sur ce point du moins, autant ridicule que ceux qu’il critique: ce n’est parce que j’ai envie que quelque chose existe que ce quelque chose ne peut pas exister. L’argument freudien est donc tout simplement irrecevable.
2) L’athéisme matérialiste : seul ce qui est créé existe. Il n’existe aucun créateur, aucun devenir, aucun destin, aucune finalité, aucune justice, aucun principe. Le destin de l’homme est le malheur de la mort et le bonheur ne peut que se concevoir sur un strict point de vue matériel. C’est, assez curieusement, le point de vue tant de Marx que des Matérialistes Libéraux. C’est une conception à mes yeux encore plus noire que celle des Vikings attendant patiemment la défaite (provisoire) des dieux.
3) L’agnosticisme : si Dieu existe, il est inaccessible à l’homme. Il existe sans doute un Principe qui gouverne le monde mais celui-ci est encore trop complexe pour être appréhendé par la conscience humaine. Se préoccuper de Dieu est donc vain car l’objet de recherche est hors de portée. Il est souvent une excuse pour le paresseux qui refuse à la fois de se poser des questions comme de se soumettre à une croyance quelconque. Le véritable agnostique est rare mais souvent de qualité. Assez bizarrement, Voltaire se retrouve classé à la fois parmi les théistes à cause de son Grand Architecte et parmi les agnostiques à cause des thèses de son Candide («Cultivons notre jardin»).
Le débat autour de la question de Dieu se fait de plus en plus intellectuel au fil de l’histoire, ce qui correspond bien à l’évolution de l’humanité. Est-ce parce que l’homme, en évoluant, est davantage capable d’appréhender Dieu ou bien est-ce que Dieu, comme pourrait le soutenir Teilhard de Chardin, soutient l’Evolution en se révélant progressivement à celui-ci ?
Article initialement publié le 1er janvier 2005 sur Le Cogiteur.
Retrouvez cet article dans le recueil Soyons des individus Solidaires.