La Franc-Maçonnerie sera donc le sujet de cet article. L’idée est d’en présenter l’histoire et les filiations. Ainsi que l’état actuel.
On évitera de se fourvoyer en vaines polémiques pour rester le plus factuel possible.
Bibliographie
Je vous donne ici quelques références d’ouvrages sur la Franc-Maçonnerie qui ont été, pour certains, écrits par des Initiés pour assurer la promotion ou la défense de l’Ordre. Comme le titre de l’article le fait à juste titre penser, je suis beaucoup plus critique. J’ai naturellement exclu de mes références tous les ouvrages schizophréniques sur l’Anti-France et autres complots judéo-maçonniques. J’ai, par contre, ajouté un ouvrage historique très sérieux et documenté sur les Templiers qui donne quelques indications sur les liens entre la Maçonnerie Opérative et cet ordre religieux.
- Histoire Générale de la Franc-Maçonnerie (Paul Naudon – Office du Livre, 1981)
- La Franc-Maçonnerie Française (Gérard Gayot – Gallimard, 1980 – Folio Histoire, 1991)
- Etre Franc-Maçon Aujourd’hui (Gilbert Garibal – Marabout, 1994)
- La Conversion du Regard (Michel Barrat, Grand-Maître de la Grande Loge de France – Albin Michel, 1992)
- Les Templiers (Georges Bordonove – Arthème Fayard, 1977 – Marabout, 1994)
Petite introduction
La Franc-Maçonnerie intrigue beaucoup. Le régime fasciste de Vichy comme celui de Staline l’ont mise hors la loi et persécuté. Sous Louis XVI, déjà, elle était puissante en France et comptait parmi ses membres, notamment, Philippe d’Orléans (futur Philippe Egalité, cousin du roi et régicide) et l’Archevêque de Paris (dont j’ai oublié le nom). Cela fit dire à Louis XVI, en pleine séance du Parlement de Paris : « Il serait tout de même convenable que l’Archevêque de Paris crût en Dieu ». Il voulait bien sûr parler du dieu de l’Eglise Catholique, souvent bien différent du Grand Horloger voltairien et franc-maçon (Voltaire ayant sans doute été initié, du reste).
La Franc-Maçonnerie est avant tout un club de gentlemen mystiques (ce qui n’est pas un mot péjoratif dans ma bouche ou sous ma plume) né en Angleterre en 1722, date de fondation de la Grande Loge de Londres, par le Pasteur protestant Anderson, loge de rattachement de toutes les loges maçonniques régulières à travers le monde.
Déjà quelques termes de vocabulaires sont nécessaires : le lieu de travail (de débats) des francs-maçons se nomme un atelier, un groupe local une loge, un groupe de loges obéissant à une même règle dans un pays donné une obédience. Une obédience est dite régulière si elle est liée à la Grande Loge de Londres (elle en suit les règles), irrégulière dans les autres cas. Les francs-maçons sont souvent désignés sous le terme d’Initiés car ils sont entrés en maçonnerie suite et grâce à leur initiation.
Non pas une mais des Maçonneries
Le livre de Paul Naudon, dont j’ai donné les références au dessus, demeure le meilleur ouvrage à ma connaissance pour comprendre le fonctionnement interne de la maçonnerie spéculative, sa logique d’initiations et de grades. Je n’entrerais donc pas dans les détails, ne me jugeant pas d’ailleurs compétent sur cette vie intérieure de la franc-maçonnerie. De même, cet article n’abordera que très superficiellement la doctrine maçonnique (ce terme de doctrine n’étant d’ailleurs pas vraiment approprié) et absolument pas la symbolique ésotérique employée dans les loges.
Je me contenterai donc ici de parler de la maçonnerie en tant qu’institution et mouvement philosophique, sur un strict point de vue historique et politique.
Historiquement, le mot de « Franc-Maçonnerie » signifie quelque chose de très clair. Il s’agit, au départ, d’une corporation comme il en existait beaucoup (bouchers, charcutiers, tanneurs, serruriers, boulangers, etc…). Certaines corporations étaient dites « franches », c’est dire affranchies des contraintes du monde féodal. Cela était dû, généralement, à des nécessités de service : par exemple, des maçons réalisant une cathédrale n’avaient que rarement une autre cathédrale à réaliser dans le même secteur géographique, il devait donc changer de fief et donc, en principe, de chef féodal. Au Moyen-Age, l’inféodation était personnelle et permanente. Pour pouvoir librement changer de fief, il fallait donc être affranchi, membre d’une franche-profession, comme par exemple la maçonnerie. Nous sommes ici au stade de la maçonnerie opérative (des maçons qui œuvrent). Les Templiers durent, pour leurs besoins propres (construction de commanderies, de routes, …) créer un ordre laïc qui leur était inféodé (Lui-même ne l’étant qu’au Pape et aucun cas à un roi, un duc ou autre) mais ne disparut pas lorsque l’Ordre du Temple fut détruit et qui devint selon toute vraisemblance les Compagnons du Devoirs. Ses membres sont non seulement d’excellents professionnels mais, en plus, régis par une discipline et une éthique directement inspirées des préceptes moraux très sévères des Templiers. Les corporations furent abolies définitivement en France au XVIIIème siècle mais l’ordre laïc des Compagnons du Devoir, qui n’était pas à proprement parlé une corporation, se maintint.
Les corporation franches avaient beau être théoriquement libres (c’est ce que signifie le mot franc), elles avaient néanmoins besoin, pour garantir cette liberté et cette indépendance, de la protection de grandes personnalités (Le Roi, le Pape, un Prince, un Duc…) ou d’ordres (tels que les Templiers). Cette protection ne devenait néanmoins pas un lien de suzeraineté féodal mais tenait davantage de l’amitié et de la considération réciproque.
En Angleterre (je n’ai pas d’informations certaines pour la France mais il semblerait qu’un phénomène semblable ait eu lieu), cette protection prenait la forme d’une admission du Protecteur au sein même de la corporation. Il y avait donc, au sein de la franc-maçonnerie (encore opérative) anglaise des membres professionnels et des membres acceptés (non-professionnels), parmi lesquels des Lords de premier plan voire, paraît-il, un ou plusieurs Rois.
Or la franc-maçonnerie anglaise était à tel point protégée au début du XVIIIème siècle que les membres acceptés devenaient plus nombreux que les professionnels. L’aspect corporatif tenait donc de plus en plus de l’hypocrisie. Elle était simplement devenue un club humaniste à la mode.
Arrêtons-nous un instant sur cette remarque. Pourquoi la franc-maçonnerie anglaise était-elle devenue un club de réflexion en lieu et place d’une corporation ? Il faut se rappeler que les maçons sont, avant tout, des constructeurs de cathédrales et d’autres types de bâtiments. Cela implique qu’ils doivent avoir (du moins les Maîtres) de bonnes notions de Mathématiques, d’Architecture et… de Symbolique Judéo-chrétienne (pour la construction des cathédrales). Nous sommes au XVIIIème siècle. Toutes les Sciences, même les sciences dures, sont inextricablement liées à la Philosophie, à la Religion voire à l’Esotérisme. N’oublions pas que la Chaire Newton, à Oxford, celle qui fut occupée par le mathématicien et le physicien le plus célèbre d’Angleterre, est une chaire de Mathématiques mais que Newton fut surtout célèbre de son temps pour ses travaux en Astrologie, Alchimie, etc… La Théorie de la Gravité Universelle passa, au départ, tout à fait au second plan, presque comme un divertissement entre deux articles sur la Pierre Philosophale.
Il était donc logique que les réunions de maçons abordent des sujets religieux, ésotériques, etc… Au fil du temps, ces discussions prirent largement le pas sur les discussions techniques ou professionnelles, attirant de nouveaux membres acceptés. Or plus le nombre de membres acceptés augmentait, plus la philosophie prenait une place importante. Le cercle vicieux était enclenché.
En créant la Grande Loge de Londres, Anderson levait simplement l’hypocrisie professionnelle. En plein Siècle des Lumières, l’initiative eut un grand succès et passa rapidement en France, en Allemagne, etc… remplaçant ou se juxtaposant à des mouvements existant locaux. Par exemple, la Rose-Croix, apparemment créée au XVIIème, fut saluée par les premiers francs-maçons comme étant maçonnique.
Les règles maçonniques étaient classiques pour l’époque : elles imposaient notamment de croire en Dieu (« Le Grand Architecte ») et de faire preuve de fraternité (solidarité) avec les autres membres (frères) de l’ordre.
Cette règle de fraternité, qui est à l’origine de bien des persécutions, n’est pas, au départ du moins, extraordinaire ou scandaleuse : elle est copiée sur ce qui existait dans les statuts corporatifs. A l’époque, il n’y a pas de sécurité sociale : la fraternité en tient lieu. De même, lorsque vous devez recommander quelqu’un à un ami, vous préférez recommander quelqu’un que vous connaissez ou qui a suivi un parcours que vous avez vous-mêmes suivi (voir pour cela les coteries d’énarques ou d’anciens de Ponts et Chaussées). Donc « être franc-maçon » signifie « avoir des relations ». Quand ces relations comportent des rois, des lords, des prétendants au trône, etc… cela peut effectivement aider dans une carrière professionnelle !
Voilà pour la distinction entre Maçonnerie Opérative (les professionnels) et Maçonnerie Spéculative (Le club philosophique).
Il n’y a donc aucune filiation institutionnelle entre les Templiers, les Rose-Croix, la Maçonnerie, etc… Tout au plus peut-on penser que les maçons (professionnels) de la Grande Loge de Londres furent, pour certains, membres également de l’ordre laïc issu des Templiers. Que les uns ou les autres se réclament d’une filiation spirituelle, c’est une toute autre affaire dont l’appréciation est très subjective.
Quant à une filiation des Templiers avec un ordre plus ancien, elle tient de la pure affabulation. En l’occurrence, il s’agirait de la Fraternité Blanche. Mais celle-ci a-t-elle seulement existé ? Précisons que « blanc » a ici le sens de « magie blanche », c’est à dire positive, pas de « peau blanche ».
Les divisions ultérieures au sein de la Maçonnerie Spéculative seraient trop complexes à détailler ici et je préfère pour renvoyer vers l’excellent livre de Paul Naudon ou celui de Gérard Gayot. Notons néanmoins que le Grand Orient de France, obédience majoritaire dans notre pays, a renoncé au concept de « Grand Architecte de l’Univers », ce qui est une hérésie totale par rapport à la pensée d’Anderson.
Les professionnels du complot ?
Au XVIIIème siècle, le secret était de règle au sein des corporations (« gardons nos secrets de fabrication ! »). La franc-maçonnerie spéculative le garda donc, ce qui, par ailleurs, mettait un peu de sel aux réunions… qui avaient souvent lieu, au départ, dans des auberges, lieux effectivement propices aux secrets bien gardés ! Le secret est plutôt à regarder comme une règle de tranquillité. Pensez à tous les gens qui s’offusquent de voir leurs noms et adresses se balader de l’annuaire téléphonique à tel VPCiste puis à tel marchand de cuisine… et à tous ceux qui s’inscrivent sur les listes rouges, oranges, roses, vertes et autres. Ces listes sont simplement les versions modernes du secret des noms des francs-maçons. Ce secret avait simplement pour objet de garantir que l’adhésion n’aurait aucune conséquence fâcheuse pour le frère.
Parmi les ennuis possibles, n’oublions pas l’excommunication ! Ne riez pas : à l’époque, c’est très grave !
Néanmoins, ce secret et la « franchise » de ce nouvel ordre ne pouvait qu’attirer tous les délires et peurs paranoïaques.
L’Eglise, pour commencer, n’apprécia pas ce nouveau mouvement, simplement parce qu’il échappait à son emprise et proclamait des théories quelque peu éloignées des dogmes. Cela n’empêcha pas des prêtres et des évêques de devenir membres… secrètement.
Tous les Etats, notamment totalitaires, ont structurellement une peur panique des forces organisées dont le contrôle leur échappe. Donc la franc-maçonnerie est, pour eux, un danger. Cela n’empêcha pas l’Espagne de Franco d’être le berceau, le sein et l’esclave de la riposte intégriste catholique : l’Opus Dei, qui contrôle, sans doute, actuellement le Vatican.
La Maçonnerie peut-elle réellement comploter ? Je suis persuadé que cela lui est structurellement impossible, même si elle le voulait. En effet, il n’y a pas de « hiérarchie » au sens classique du mot, c’est à dire susceptible de donner des ordres (contrairement à l’Opus Dei d’ailleurs). Donc, un Grand Maître maçonnique est dans l’incapacité d’organiser un complot qui s’appuierait sur la structure maçonnique. On pourrait toujours imaginer que la structure serve de support à une organisation parallèle, parasite en quelque sorte, qui, elle, serait hiérarchisée. C’est effectivement envisageable bien qu’aucun élément sérieux ne permette de croire en la réalité de cette organisation parallèle, aujourd’hui ou dans le passé.
L’étude réalisée par Gérard Gayot montre plutôt, dans l’histoire de l’ordre, une diversité considérable d’opinions au sein de l’ordre et une non-participation à l’ensemble des mouvements politiques du XIXème siècle. Pour être exact : c’est au sein des loges que les idées ont avancées mais… la Maçonnerie était majoritairement royaliste sous les rois, républicaine sous la République ! En fait, la Maçonnerie a été (et demeure sans doute) un creuset de discussion, donc d’invention, mais n’est pas, ne peut pas être et n’a jamais été une structure politique qui peut influer sur l’application pratique des idées débattues en son sein. Par contre, c’est un endroit ou les politiques ou les aspirants à ce statut se croisent souvent.
C’est donc uniquement en marge de la maçonnerie que peuvent, éventuellement, se constituer, suite à des rencontres au sein de loges, des complots ou des partis politiques mais n’impliquant ni la majorité ni l’institution maçonnique. L’Opus Dei est sans aucun doute beaucoup plus dangereux.
De la bonne idée à la décadence
Nous le voyons, la Maçonnerie est avant tout un club fort sympathique délivrant un message gentiment humaniste (voir à ce sujet le livre de Michel Barat) en s’entourant de suffisamment de folklore pour être amusante. C’est donc un lieu de discussion, un « café du commerce » pour des personnes qui s’estiment mutuellement et dans le cercle desquelles on rentre par parrainage.
Ca, c’est le côté positif de la médaille, ce qui est issu de la volonté d’Anderson.
Dès le départ, les « acceptés » obtenaient leur statut essentiellement au regard de leur situation sociale et des avantages qu’ils pouvaient apporter. La qualité de leurs discours et la profondeur des arguments qu’ils pouvaient défendre lors de discussions philosophiques ne devint un critère de sélection qu’après la création de la maçonnerie spéculative.
Gilbert Garibal, dans « Etre franc-maçon aujourd’hui », reconnaît lui-même que bon nombre de maçons ne sont là que pour pouvoir tirer quelque avantage personnel ou matériel de leurs relations, surtout parmi les nouveaux initiés, forcément plus manipulables, recommandant au passage de se méfier de ces frères là. Pourtant, à lire le long processus nécessaire pour être initié, comportant son lot de tests et d’entretiens, qu’il décrit, on peut se demander comment ces frères là ont pu être initiés…
Et c’est là qu’est le drame : à quoi sert aujourd’hui la Maçonnerie ?
Le Grand Orient de France, grâce à plusieurs dignitaires, a servi d’appuis essentiel à toute la carrière de François Mitterrand (qui, d’ailleurs, selon la plainte discrète d’un franc-maçon, les méprisait tout à fait, comme on méprise un outil). Il sert, comme les autres obédiences, sans doute beaucoup d’autres carrières moins prestigieuses.
Il y a bien sûr eu des mouvements de réaction face aux cas les plus évidemment opportunistes : tel ex-député a été exclu après avoir voulu créer autant de loges que nécessaire pour conserver des appuis (quittant une loge et en créant une autre dès qu’il y était minoritaire), tel ancien président de la République (qui reviendra) a été blackboulé… Rappelons que blackboulé signifie que, lors du vote de la loge où il a demandé son initiation, les boules noires (refus – Black = noir en Anglais) ont été plus nombreuses que les blanches (acceptation) dans l’urne.
Bref, c’est aujourd’hui un cercle de relations et des favoritismes mesquins. Déjà, dans des associations « ordinaires », j’ai vécu quantité de petits jeux de cette nature, sans compter les conflits de pouvoir, d’un pouvoir ô combien ridicule sur les quelques dizaines ou centaines de membres d’une association. Que dire de ce qui doit se passer au sein d’une organisation aussi ancienne, implantée, influente malgré tout et importante (en effectif) que ne l’est une obédience maçonnique ?
Je suis persuadé, qu’aujourd’hui, alors qu’il existe de nombreuses autres structures de discussions (merci à la Loi française de 1901), la Franc-Maçonnerie, alourdie par ses manières et son symbolisme du Siècle des Lumières, d’un autre temps, desservie par son Secret qui n’est plus de mode mais attire la méfiance, n’est plus la meilleure structure pour réaliser une progression, intellectuelle ou spirituelle, individuelle ou collective.
Tant pis pour elle.
Cet article est issu d’un texte paru en Septembre 1997 dans Cuneus n°5, légèrement modifié.
Retrouvez cet article dans le recueil Soyons des individus Solidaires.