Jeanne d’Arc revient régulièrement sur le devant de la scène, récupérée aujourd’hui par les Nationalistes français après l’avoir été par les Républicains au XIXème siècle. Morte sur le bûcher en 1431, elle est béatifiée en 1909 et canonisée en 1920, près de 600 ans plus tard.
Durant cinq siècles, elle a été totalement oubliée. Pourquoi la soit-disant bergère de Domrémy a-t-elle connu un tel destin ? A cause du marketing politique de Charles VII, des Républicains fin XIXème et des nationalistes europhobes aujourd’hui. Rien de plus.
Petite démonstration.
Qui est Jeanne d’Arc ?
Officiellement, c’est une bergère de Lorraine. Elle entend les voix de l’archange Michel et des saintes Marguerite et Catherine. Elle reçoit ainsi la mission de délivrer la France de l’occupation anglaise et de faire sacrer le dauphin. Elle arrive à rejoindre la Cour à Chinon, à convaincre le dauphin Charles (futur Charles VII), à guider les armées durant un peu plus d’un an et à renverser le cours de la Guerre de Cent Ans en faisant sacrer roi le dauphin. Là-dessus, elle se fait capturer et le roi qui lui doit son trône ne fait rien pour l’aider.
Au XIXème siècle, les Républicains sont à la recherche de héros consensuels. Ces héros doivent mobiliser les foules contre les ennemis de la France, Allemands et Anglais au premier chef. Or une cinglée du Moyen-Age, totalement inconnue, ayant galvanisé le peuple contre un envahisseur, est parfaite dans ce rôle. Napoléon 1er est la mascotte des Bonarpartistes, il n’est pas disponible. De même, il ne peut pas être question d’utiliser un roi, un duc ou un autre noble qui serait plutôt une mascotte pour les Royalistes. Une bergère ayant sa vertu, voilà qui fait peuple. Et les Républicains aiment les femmes (Marianne est un autre exemple). Il pleut, il pleut bergère…
En réaction, et pour surfer sur l’engouement populaire au lieu de la combattre, l’Eglise la canonise. Si la République donne la Légion d’Honneur au Capitaine Dreyfus au titre d’excuses après avoir reconnu son innocence, l’Eglise, elle, canonise. Chacun son truc.
Qui était vraiment Jeanne d’Arc ?
Comment une simple bergère a-t-elle pu traverser la moitié de la France à une époque où c’était une vraie expédition ? Comment a-t-elle pu rencontrer le dauphin ? Comment pouvait-elle parler un français compréhensible à la Cour ? Comment savait-elle monter à cheval ? Comment a-t-elle pu galvaniser les foules à une époque où la femme n’est guère plus qu’un meuble ? Toutes ces questions, et bien d’autres, ont entretenu un grand mystère autour du personnage. Si les textes (adresses et ultimatums notamment) peuvent avoir été écrits par des scribes, nul n’a pu parler ou se montrer à sa place.
Les théories les plus folles circulent : elle était demi-soeur du roi (voire son demi-frère déguisé, travesti ou transsexuel), une bâtarde d’un grand seigneur, une fée, une sorcière (donc le bûcher était mérité), etc. Nous n’en saurons sans doute jamais rien de manière certaine. Mais il est acté qu’elle était une femme vierge ou du moins reconnue comme telle à la Cour après un examen médical.
Le dauphin se laisse bien facilement convaincre et, ensuite, oublie de soutenir et protéger Jeanne. Elle n’avait donc à ses yeux aucune importance.
D’où la théorie actuelle qui veut qu’elle n’était rien de plus qu’une mascotte pour galvaniser les troupes, le boulot de terrain étant réalisé par les généraux de Charles VII. Et dans une période troublée, les illuminés trouvent toujours des oreilles attentives.
Quel était le combat de Jeanne d’Arc ?
Après avoir été victime du marketing politique de Charles VII au XIVème siècle, elle devient donc au XIXème siècle victime du marketing politique des Républicains. Son combat pour Charles VII devient un combat des Français. C’est un anachronisme mais, en marketing politique, on s’en fout.
Le concept de nation n’apparait à l’époque moderne qu’avec les révolutions du XVIIIème et du XIXème siècle. Parler de nation au Moyen-Age est un anachronisme. Dans un monde féodal, il faut parler de territoires, de fiefs et d’une population attachée à ces territoires, les Vilains (libres ou serfs). En tant que résidents à un endroit, un individu est attaché à cet endroit et doit fidélité au propriétaire, seigneur du lieu. Ce seigneur est ensuite lui-même rattaché à un seigneur plus puissant, etc. jusqu’au Roi. Ce lien est religieux, un quasi-sacrement, ce qui explique que le catholicisme est la seule religion acceptée en France : sans reconnaissance du lien sacré entre l’individu, son territoire de résidence, son seigneur et, au travers de lui, son roi (lui aussi sacré avec des huiles saintes), c’est toute la société qui s’effondre. Il n’existe donc aucune place dans cette société pour les Juifs, les Cathares, les Musulmans, etc. qui seront tous persécutés.
Or les places, dans cette société, s’héritent. Les seigneurs héritent de leurs fiefs, le roi de son trône. Les femmes ne sont pas exclues des héritages. Et les mariages sont, de ce fait, une manière bien commode de rapprocher les dynasties et les possessions.
A l’époque de Jeanne d’Arc, deux branches des Capétiens se déchirent l’héritage royal. Philippe IV le Bel avait un grand nombre de fils et il avait donc marié sa fille Isabelle au roi d’Angleterre dans le cadre d’une alliance politique. Les liens entre les rois de France et d’Angleterre sont compliqués car le Roi d’Angleterre est, avant tout, duc d’Anjou, de Normandie (par mariage d’un de ses ancêtres et ainsi héritier de Guillaume le Conquérant, roi d’Angleterre), duc d’Aquitaine… Bref, Philippe IV a comme vassal un seigneur qui possède la moitié la plus riche du royaume de France et un royaume étranger. Dans les deux cours d’Angleterre et de France, on parle français et les seigneurs sont pour la plupart français ou d’ascendance française.
Après la mort de tous les fils de Philippe IV (Louis X, Philippe V, Charles IV) et du seul petit-fils (Jean 1er, mort à l’âge de cinq jours) se pose donc la question de l’héritage de la couronne. La logique aurait voulu qu’Isabelle hérite. Cet héritage aurait réalisé l’union des Royaumes de France et d’Angleterre comme des unions similaires ont permis tout au long de l’histoire féodale de rapprocher des royaumes.
Les Pairs, c’est à dire les plus grand nobles dont le Roi n’est qu’un parmi eux (Primus Inter Pares : le premier entre ses pairs), ne l’entendent pas ainsi. Les Valois, descendants d’une branche cadette de Saint Louis, décident de pousser leur candidature et, après des querelles, une loi prévue aux Etats Généraux de 1317 (pour exclure les femmes du trône mais pas leurs descendants) et l’invention d’une Loi Salique (pour exclure les femmes et leurs descendants de la succession), Philippe VI est sacré à Reims. Comme ses prédécesseurs, Philippe VI a parmi ses vassaux un type qui possède la moitié la plus riche du royaume et un royaume étranger, le roi d’Angleterre par ailleurs duc de Normandie, d’Anjou, d’Aquitaine, etc. Ce dernier n’est pas content et réclame son héritage. Ainsi débute la Guerre de Cent Ans.
Celle-ci n’est donc pas une guerre entre deux nations. On retrouve en effet des Français des deux côtés. C’est une querelle d’héritage féodal entre deux branches des Capétiens : les Valois (descendants par une branche cadette de Louis IX) et les Plantagenêt (héritiers des Capétiens par Isabelle de France, fille de Philippe IV, descendant par la branche aînée de Louis IX). Le Pape et les autres souverains s’en foutent, s’alliant avec tel ou tel en fonction de leurs intérêts du moment. La bulle papale ayant sacré Hugues Capet interdit de choisir un roi issu d’un autre sang que de celui d’Hugues Capet mais les deux camps peuvent se revendiquer légitimes héritiers, donc pas de problème religieux.
Un peu d’uchronie
Et si les Valois avaient perdu la guerre, que se serait-il passé ? L’histoire-fiction est un dada personnel et il est facile d’inventer plein de choses.
Il n’en demeure pas moins que la première conséquence, celle qui, justement, était refusée, aurait été l’union des deux royaumes, créant ainsi la première puissance européenne, tournée à la fois vers le continent et vers l’océan. La capitale aurait sans doute été déplacée sur le continent pour des questions pratiques autant que de prestige (Londres était une bourgade par rapport à Paris). Et les deux cours auraient fusionné, entérinant la domination du Français sur le monde, la célèbre Lingua Franca qui fut langue diplomatique durant des siècles tant elle était déjà parlée dans toutes les cours. La Cour d’Angleterre n’aurait pas été tentée de se distinguer de la Cour de France en adoptant la langue du peuple des îles.
D’un autre côté, quelles auraient été les conséquences de la Guerre des Deux Roses sur le nouvel ensemble ? Ecosse, Irlande et Espagne auraient-elles pu se rattacher à l’ensemble ? La Reconquista aurait-elle pu devenir une croisade menée par les Français ? D’un jeu à trois ou quatre (France, Angleterre, Saint Empire Romain Germanique puis Espagne), on serait passé à un jeu à deux (France et Saint Empire). Y aurait-on gagné en paix ? Le Roi de France aurait-il pu convaincre les seigneurs allemands de l’élire au trône impérial comme Charles V en avait rêvé ? L’Empire de Charlemagne aurait-il pu ainsi être reconstruit en plus vaste ? Voilà bien des questions auxquelles nous n’aurons jamais de réponses…
Retrouvez cet article dans le recueil Soyons des individus Solidaires.