Désirs et destins rassemble 21 nouvelles appartenant à tous les genres (tendres, cruelles, drôles, fantastiques…) sur l’amour et le désir.
Elle aimait, jadis, se lever de bonne heure, ouvrir la fenêtre et les volets, se remplir les poumons des parfums marins en écartant triomphalement les bras et puis enfin revenir vers le lit, le sortir du sommeil et faire l’amour alors qu’il était encore dans les brumes du sommeil, pestant d’avoir choisi une femme matinale. Ce soir, au loin, le soleil n’allait pas tarder à se coucher derrière la petite colline empêchant de voir la mer. Des maisons plus chères se trouvaient de l’autre côté du monticule, avec une belle vue, pour ceux qui avaient réussi leurs vies.
Elle tenta d’écarter triomphalement les bras, de se remplir les poumons d’air marin. On aurait pu la croire crucifiée. Sa tête basse ne captait plus rien des parfums qu’elle recherchait.
Une petite larme coula sur sa joue droite. La lumière solaire allait s’éteindre. Inutile d’attendre. Elle ferma les volets. Dans la pénombre, elle alluma sa lampe de chevet.
Elle se déshabilla machinalement, posant son pantalon sur un dossier de chaise, avec son T-shirt. Elle se rendit dans la salle d’eau, à côté de sa chambre, jeter ses sous-vêtements dans la machine à laver. Cette pièce là était encore claire comme en plein jour. Elle appuya sur le bouton de mise en route. Il fallait tout nettoyer. Elle avait passé sa journée à cela. Tout nettoyer. Brûler ce qui devait disparaître. Sur les meubles, de nombreux cadres étaient vides.
En revenant dans sa chambre, elle s’arrêta sur le seuil. Si la chaleur de l’été était bien là, l’ambiance était sépulcrale. Une petite lampe de chevet donnait juste le peu de lumière dont elle était capable. Et quelque chose empêchait une harmonie rassurante de s’épanouir, une harmonie signe d’un lieu où l’on se sent bien.
Tout était rangé, sauf le lit. La couette en désordre et le drap froissé juraient avec le reste, si bien rangé. Jusqu’à tous ses papiers administratifs qu’elle avait traités dans l’après-midi, même ceux qui traînaient depuis des semaines.
Tout était à jour, rangé, étiqueté, traité. Tout sauf le lit et la table de nuit. C’était ce qui lui restait à faire tandis que le doux ronron de la machine à laver se répandait dans la petite maison.
Enfin, elle se décida à rentrer dans sa chambre. Seule et nue. Elle ferma la porte derrière elle, la verrouillant pour plus de sécurité, même si elle était seule dans la maison.
Elle se s’assit sur le lit et pivota son corps pour allonger ses jambes sur les draps froissés, repoussant encore un peu plus la couette. Elle resta assise un instant, le regard dans le néant. Il n’y avait rien face à elle si ce n’est un mur blanc.
Jetant un oeil sur sa table de nuit, elle repéra le tube en plastique et le verre d’eau. Elle éteignit la lumière. Elle ne voulait plus rien voir.
Elle s’allongea à sa place habituelle mais ne put s’empêcher de se tourner vers l’emplacement de l’homme qui partageait il y a peu encore sa vie. Elle crut en sentir l’odeur. Non, ce n’était pas la sienne, elle en était sure, elle la connaissait bien. Mais c’était une odeur d’homme. Elle frémit.
Elle sentit une main ferme se poser sur son sexe. Ses grandes lèvres s’écartèrent sans rechigner. Son clitoris se gonfla d’orgueil et accueillit avec joie la stimulation qui lui manquait tant. La main, pendant ce temps, caressait de la paume la douce toison du Mont de Vénus.
Sa bouche émit un petit soupir d’étonnement tandis que des sensations oubliées lui écartaient les cuisses et l’irradiaient à partir du bas-ventre.
« Non » supplia-t-elle.
« Pourquoi ? » demanda-t-il.
« Il est parti. Je n’ai plus de joie, plus d’amour, plus de vie. »
« Foutaises. Tu ne sens pas comme la vie renaît dans ton bas-ventre. Tu es jeune. Ta vie ne fait que commencer. »
« Non, c’est fini. Il m’a menti. Comment pourrais-je désormais faire confiance à un homme ? »
« Il t’a menti ? Mais comment ? »
La lampe de chevet se ralluma. Elle y jeta un œil. Le tube et le verre étaient toujours là.
« La lumière est allumée » prononça distinctement la voix de l’homme.
Elle ne put réprimer un regard vers ses parties le plus intimes. Elle eut soudain honte de sa nudité, de ses cuisses écartées. Elle éteignit la lumière.
La voix masculine ricana : « Alors ses yeux s’ouvrirent et elle connut qu’elle était nue. Elle se cousit un pagne en feuilles de figuiers. »
« Assez ! » hurla-t-elle.
Mais elle ne savait pas ce qui, de l’évocation de la Genèse ou bien de la chaleur montant de son bas ventre, la tourmentait le plus.
« T’ai-je menti ? » demanda soudain l’homme.
« Pardon ? »
« T’ai-je menti quand je t’ai dit que la lumière était allumée ? »
« Non, elle l’était. »
« Il fait bien sombre pourtant. »
« La lumière est éteinte, imbécile. »
Elle peinait à parler. Sa voix chantait à demi, torturée par les frissons qui parcouraient de plus en plus fortement son corps, soulevant ses fesses du drap, lui arquant les jambes, lui repoussant la tête en arrière, cambrant son dos.
« Pourquoi voudrais-tu que le monde ne change pas ? La lumière est allumée. La lumière est éteinte. C’est quand plus rien de change que tout est mort. Un cadavre ne bouge pas. »
« Un cadavre ne souffre pas. »
« Qu’en sais-tu ? L’un te l’a dit ? Il ne vit plus jusqu’à en disparaître. Peut-être que, s’il souffrait au moment de mourir, il souffre éternellement. La mort, c’est l’instant éternisé. La vie est mouvement. la vie est changement. La vie est stimulation. La vie est sensation. Hésiter entre la souffrance et le plaisir, c’est déjà ressentir tantôt l’un tantôt l’autre. Souffrance et plaisir sont les meilleures preuves que l’on vit par leur succession infinie. »
Elle poussa une sorte de cri primal. Elle ne l’écoutait plus que d’une oreille distraite. Son cœur desséché semblait avoir été ranimé. Ses pensées noires avaient été irradiées.
Comblé, son bas-ventre s’effondra sur le lit, entraînant tout son corps dans une vaste lassitude. Elle regarda vers la table de nuit. Elle ne vit rien. La lumière était éteinte. Il faisait trop sombre.
Sentant qu’elle allait pleurer, elle porta ses mains à son visage. Tenter de se cacher son désespoir à soi-même. Une odeur la dérangea, lui fit honte. Elle rejeta ses mains sur le drap froissé comme on rejette une faute. Elle cacha ses pleurs dans l’oreiller de l’homme. L’odeur lui rappelait ses amants, chacun de ses amants, l’un après l’autre, dans l’ordre. Même ceux qu’elle n’avait pas eu se joignirent au défilé. Ses regrets, ses souvenirs. La distinction n’avait plus d’importance. D’autres attendaient leur tour. Ils avaient assez attendu.
Quand elle se réveilla, elle se dirigea d’un bond vers la fenêtre. Elle l’ouvrit, ouvrit les volets. Le soleil était triomphant. Elle étendit les bras et sentit la mer pénétrer dans ses narines. La maison était isolée dans une campagne presque déserte, surtout à cette heure là. Laisser ses seins nus prendre le soleil était trop agréable pour s’en priver.
Elle baissa enfin les bras de fatigue et s’en retourna près du lit.
Les draps étaient toujours froissés, la couette en désordre.
Elle se saisit du verre d’eau et en but une gorgée. Une grimace lui déforma le visage. L’eau avait tiédi durant la nuit. Elle n’était pas agréable à boire.
Le tube de somnifères fut d’abord rejeté dans un tiroir. Puis elle s’en ressaisit pour aller le jeter dans une poubelle, près du petit bureau.
« La vie est trop courte pour dormir. La vie est trop courte pour mourir. »
D’un bond, elle s’allongea sur le lit, à la place de l’homme, les fesses les premières, rebondissant sous les cris des ressorts du matelas. Elle s’enivra de l’odeur masculine, des multiples odeurs. Ecartant ses cuisses, elle plongea sans honte son majeur dans son sexe tandis que sa paume massait sa chatte. Elle admit qu’il lui faudrait se laver les mains avant le petit-déjeuner. Il restait de la brioche et de la confiture. Et du café.
Mais, d’ici là, elle se dit qu’elle avait le temps de repenser à tous les hommes qu’elle avait eus et à tous ceux qu’elle aurait.