Le dessinateur Boulet a lancé le 1er septembre 2021 matin un appel à financement participatif pour éditer son prochain recueil, Rogatons. Fort d’une communauté de fans importante acquise grâce à son célèbre blog-BD, le dessinateur était un candidat évident à l’auto-édition depuis des années.
Le financement participatif a ainsi atteint les 100% de couverture en environ une heure, 500% avant la fin de la journée et, le lendemain matin, dépassait les 700%. Vous pouvez souscrire ici (ou simplement aller voir à quel niveau la sur-souscription est arrivée).
Si je suis un chantre de l’auto-édition depuis vingt ans, et que j’ai fait une conférence sur le sujet, je dois admettre que je suis dans une situation idéale. Mes créations sont en effet presque toutes composées de textes sans aucune illustration. Un niveau correct en bureautique me suffit donc pour diffuser par moi-même mes œuvres via toute une série de plates-formes sans aucune mise de fond.
Or la bande dessinée est probablement ce qu’il y a de pire du point de vue d’un auteur souhaitant s’auto-éditer. C’est techniquement compliqué, pratiquement impossible à imprimer à la demande avec un coût raisonnable et une qualité de réalisation satisfaisante et, accessoirement, le temps de production est colossal, imposant d’être un vrai professionnel à temps plein si on veut sortir des albums à un rythme supérieur à un tous les vingt ans. L’impression suppose donc une réalisation offset avec des tirages. Donc une mise de fond initiale importante sans négliger l’investissement, initial également, en temps de production.
Dans son billet expliquant sa démarche, Boulet résume bien la situation de la plupart des auteurs : les éditeurs exigent des droits jusqu’à extinction (70 ans après la mort de l’auteur), tous les droits dérivés (numériques, audiovisuels, etc.), et tout ça pour 1,4 euro par livre sur un prix de vente public de 16 euros (15,12 HT). Sans oublier que cette cession patrimoniale fait que l’auteur n’a plus aucun contrôle sur son œuvre. Il ne peut plus la modifier, la diffuser selon des modalités innovantes ni rien.
Les éditeurs ne sont pas les seuls en cause. Ce sont des coupables faciles car, après tout, ils prennent des risques économiques. N’oublions pas que la distribution (grossistes, libraires) absorbe près de la moitié du prix d’un livre pour une prise de risque nulle. Mais la distribution traditionnelle sait aller régulièrement pleurer rue de Valois, au Ministère de la Culture, pour être protégée des méchants (grande distribution généraliste ou spécialisée, sites d’e-commerce, etc.) qui, eux, innovent, servent mieux les clients et prennent parfois même des risques.
Donc, s’auto-éditer, c’est certes bien mais, dans la bande dessinée, c’est très compliqué. Et c’est là qu’intervient une nouveauté : une maison d’édition coopérative, Exemplaire, proposant les services dont les auteurs ont besoin et un financement par souscription préalable auprès des lecteurs, ce que l’on appelle aujourd’hui le financement participatif. C’est à cette maison fondée par l’autrice Lisa Mandel (qui s’est heurtée elle-même aux difficultés de l’auto-édition) que Boulet a confié Rogatons. Rappelons que le modèle à la souscription est très ancien et qu’il a notamment toujours été la règle pour un grand nombre de livres d’art.
La démarche des Editions Exemplaire est expliquée sur leur site. Chaque intervenant éditorial est rémunéré au pourcentage des ventes, la souscription permet de limiter le risque financier et la rémunération finale de l’auteur dépend de son autonomie (« Chez Exemplaire, l’auteur·ice touche des droits en moyenne 3 à 4 fois supérieurs à ceux de l’édition classique, il·elle ne cède ses droits que sur le livre, pour une durée maximale de 2 à 4 ans » indique le site de l’éditeur).
Gageons que le succès de Rogatons incitera Boulet à poursuivre sur cette voie pour ses prochaines œuvres.