Quand j’ai créé Emenu, dans Carcer, puis que j’ai repris ce concept d’univers virtuel pair-à-pair de partage documentaire dans plusieurs romans, notamment Apotheosis, je visais notamment à contrer tous les défauts classiques d’Internet. Dans Apotheosis justement, j’ai également abordé le sujet délicat du transhumanisme avec un aveugle qui voit grâce à des implants qui lui permettent aussi, justement, de circuler aisément dans Emenu. La morale d’Apotheosis, rappelons-le, est, qu’à l’heure où les technologies permettent tout, les dieux sont inutiles. On voit ainsi, en quelques lignes, comment naissent deux extrêmes autant condamnables l’un que l’autre : la technobéatitude (la technologie peut tout, il faut lui faire confiance) et la technophobie (la technologie est le mal qui nous éloigne de Dieu, de la Nature, etc.).
Rester calme et raisonnable entre les insultes des deux camps relève parfois de l’effort surhumain. Il faut donc pouvoir recracher sa colère en essayant malgré tout de rester fidèle à une ligne de conduite raisonnée. Je vais tenter l’exercice dans les lignes qui suivent.
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Il est tellement facile de se moquer des technophobes que je vais être bref. Qu’il s’agisse d’attaquer les manipulations génétiques, les vaccins comme les nouveaux protocoles de radiotransmissions (la 5G par exemple), il y a toujours un rejet brutal de la technologie et de la science sans aucun argument sérieux. Surtout, il y a un refus de prendre en considération la réalité objective. Derrière cela, il y a un désir de retour à un passé fantasmé, celui de l’homme dans la nature. Sauf que le retour à la nature, ce n’est ni l’homéopathie ni les huiles essentielles ni l’absence d’ondes. Le discours technophobe est financé, soutenu, par des organisations aux motifs très pratiques. Qu’il s’agisse de vendre des choses (des « thérapies alternatives » par exemple) ou de restaurer un intérêt pour le religieux. Attaquer la science, c’est attaquer la théorie de l’évolution qui ose dire que la Genèse raconte n’importe quoi. Attaquer la science, c’est rétablir la place du miracle comme intervention divine.
A l’inverse, les technobéats sont autant dangereux. Il ne suffit pas d’aligner des 0 et des 1 pour que ce soit génial. Les fans de cryptomonnaies n’arrivent pas à comprendre ce qu’est une monnaie, ce qu’elle implique, ce qui la sous-tend. Le bitcoin est une pyramide de Ponzi spéculative qui, un jour ou l’autre, s’écroulera, comme toutes les pyramides de Ponzi. Aucun argument rationnel ne peut dessiller leurs yeux. Il y a des 0 et des 1, c’est forcément magique, génial, le monde de demain et ceux qui disent l’inverse sont juste des has been du passé révolu. On a les mêmes attitudes technobéates avec le cloud computing : ni la souveraineté nationale ni les préoccupations de préservation de la vie privée ou des informations sensibles des entreprises ne sont opposables car le cloud est l’avenir. En biologie, les technobéats peuvent créer de véritables catastrophes avec des OGM non-maîtrisés. De la même façon, le nucléaire est forcément une énergie propre car les centrales n’émettent pas de CO². Qu’il s’agisse d’extraire de l’uranium dans des pays instables politiquement, de construire des engins susceptibles de rayer de la carte une région ou un pays au moindre dysfonctionnement ou de produire des déchets pour des centaines de millions d’années, c’est ça ou retourner à l’âge de pierre.
On voit bien là les limites et les dangers des deux attitudes.
Il faut être capable de comprendre que la technologie peut apporter de véritables progrès mais refuser les œillères. Or la saturation de l’espace public par les hurlements des deux camps empêche des débats sereins et surtout une régulation appropriée. Si l’on veut réguler les OGM pour éviter que n’importe quoi soit fait, on se retrouve renvoyé parmi les technophobes et ainsi décrédibilisé. Les seuls vrais arguments anti-OGM sont en fait contre de mauvaises pratiques qu’il faut interdire, le reste étant un gloubi-boulga d’idioties. Si l’on veut défendre l’évolution des protocoles de transmission, pour être plus efficace à moindre coût énergétique, on est accusé d’être des empoisonneurs destructeurs. Non, la 5G, ce n’est pas regarder du porno dans l’ascenseur, c’est bénéficier de réseaux plus fiables, plus aptes à tous les usages sur un seul réseau pour un moindre coût énergétique. Si des promoteurs de technologies de transmission propriétaires sont anti-5G, il y a peut-être de bonnes raisons économiques derrière cela : leur business est foutu, voilà tout. Quant aux ondes… Ah si seulement les anti-ondes cessaient de produire des ondes sonores (et donc se taisaient)… Leur discours néglige (par bêtise, incompétence, ignorance, mauvaise foi ou tout ça à la fois) que l’univers est composé d’ondes.