La laïcité est en danger au nom d’une histoire recomposée. Le sujet est récurrent : les Eglises en tous genres, à commencer par l’Eglise Catholique Romaine, veulent voir reconnaître les « racines chrétiennes de l’Europe ». Une telle reconnaissance n’aurait qu’un seul objectif : permettre le retour dans la sphère politique de la religion par la fenêtre après qu’elle en ait été expulsée par la porte (en France, en 1905).
Le rêve de certains est de faire de l’Europe de nouveaux Etats-Unis où les religieux finissent par avoir un pouvoir presque aussi grand qu’en Iran, même si ce pouvoir est informel aux Etats-Unis et légal en Iran. Les dossiers sensibles pouvant être impactés sont nombreux : de l’IVG et de la recherche génétique à l’égalité des sexes.
Alors, qu’en est-il de ces fameuses racines ? Revenons quelques siècles en arrière.
L’Empire Romain a conquis l’essentiel des zones peuplées de ce que nous appelons aujourd’hui l’Europe (Toute ? Toute, même si certains villages résistent encore et toujours à l’envahisseur) ainsi que l’arc méditerranéen. Les Romains pratiquent alors la Pax Deorum (Paix des Dieux) et absorbent toutes les religions des zones conquises. Lors de l’Empire, la déesse égyptienne Isis devient plus célébrée que les dieux classiques issus de la colonisation grecque du sud de l’Italie.
Il est vrai que les Romains, peu poètes, possédaient jadis des dieux peu définis, les Numina, et que leur premier acte de Paix des Dieux a été d’annexer l’Olympe… Un bon exemple littéraire de la présence d’Isis à Rome est le célèbre « Ane d’Or » d’Apulée (excellent livre comique que je vous conseille, d’ailleurs) où la déesse égyptienne sauvera le héros à la fin.
Généralement, cela se passe bien. Il y a bien quelques soucis par-ci par-là lorsque telle secte (notamment d’un culte oriental) obtient un pouvoir un peu trop important et qu’une révolution de palais déclenche une extermination des sectateurs. Mais, globalement, ça se passe bien.
Evidemment, les différents peuples gardent leurs propres dieux tout en étant conquis. C’est notamment le cas des Celto-germaniques qui possèdent une déesse mère essentielle, Birgit, plus importante que le dieu prédominant Lug. L’agrandissement de l’Empire et sa décadence a d’ailleurs entraîné la promotion de généraux et de hauts fonctionnaires non-romains au sens de « originaires de Rome » : des Gaulois, des Egyptiens, des Francs…
Vous noterez que nous avons déjà mentionné en quelques lignes deux déesses importantes : Isis et Birgit.
Et puis voilà que débarque une religion à portée universelle et exclusive. Voilà des soldats qui refusent d’honorer tous les dieux de l’Empire, à commencer par l’Empereur, c’est à dire l’Empire Personnifié. Inacceptable. Séditieux.
Les Chrétiens -vous les aurez reconnus- sont évidemment persécutés.
Mais les Empereurs romains croient sans doute autant à chaque dieu que Karl Marx pouvait croire à l’Immaculée Conception. Ce qui importe pour eux, c’est l’unité de l’Empire. Or la religion est un ciment essentiel. C’est parce que l’on prie partout dans le cadre de la Pax Deorum que l’Empire tient plus ou moins.
Le problème, c’est que les Chrétiens prennent de l’importance, malgré les persécutions.
Alors vient l’impensable : Constantin proclame en 313 l’Edit de Milan qui autorise le christianisme. En 380, Théodose proclame l’Edit de Thessalonique qui rétablit l’unité religieuse de l’Empire sous la férule du christianisme.
Oui mais…
L’unité du christianisme, tout comme l’unité de l’Eglise, est une fable. Ce qui compte, c’est l’unité de l’Empire. Alors les divergences entre catholiques, ariens (disciples d’Arius, à ne pas confondre avec « aryens »), monophysites, nestoriens, et autres, ça ne peut pas durer. D’où le premier Concile de Nicée, en 325, convoqué par l’Empereur Constantin (et pas par un « Pape »). Constantin obtient la création d’un christianisme officiel, l’Eglise Catholique Romaine. Et il est heureux.
Les guerres de religions sont généralement, à cette époque, des guerres entre peuples. Ainsi, pour se rallier les Gaulois catholiques à sa guerre contre les Wisigoths ariens, le roi franc Clovis épouse une princesse gauloise catholique et finit par se convertir. Clovis réutilise le même truc que les Romains : l’unité politique par l’unité religieuse de son royaume.
La victoire finale du catholicisme relève essentiellement du hasard : ceux qui ont choisi cette version du christianisme ont gagné sur ceux qui avaient fait d’autres choix. La bénédiction divine, sans doute…
Cette unité de l’Empire, socle de l’Europe, par la religion catholique, fait-elle de celle-ci une racine de l’Europe ? Il serait plus juste de dire que c’est l’inverse…
En effet, le catholicisme a été créé à des fins politiques. Il intègre beaucoup d’éléments qui n’ont rien à voir avec le christianisme d’origine. Beaucoup de saints sont en fait d’anciens dieux païens, beaucoup de temples sont devenus des églises, et beaucoup de déesses ont été rhabillées. Et la question de la Trinité ou celle de l’Eucharistie ne sont pas les moindres des difficultés qui auront de nombreuses interprétations selon les diverses Eglises.
L’exemple le plus frappant de rupture entre le christianisme originel et le catholicisme est celui du rôle de la Vierge Marie. Regardez les Evangiles. Au mieux, Jésus insiste pour que Marie aille s’occuper de ses casseroles et le laisse faire son boulot de prophète. Au pire, elle n’existe même pas durant l’essentiel du texte. Jamais elle n’aura un rôle sensible. La femme qui est présente lors de la résurrection, ce n’est pas Marie mais… Marie-Madeleine, la seule disciple femme à suivre Jésus. Alors pourquoi Marie obtient-elle un statut si privilégié dans les siècles postérieurs ? Parce que les catholiques avaient un besoin marketing d’avoir une consolatrice féminine à opposer à Birgit, Isis et leurs copines… Le rôle prédominant de Marie est simplement lié aux rôles essentiels, dans l’Empire, de celles qu’elle doit remplacer. Marie est mère. Elle est plus présentable qu’une Marie-Madeleine ancienne pécheresse tenancière de caravansérail. Marie est une femme soumise et aimante. Marie-Madeleine n’hésite pas à l’ouvrir. Le choix est vite fait entre les deux…
Dire que l’Europe a des racines religieuses, c’est soit une lapalissade sans intérêt si on intègre toutes les religions de tous les peuples européens, soit un mensonge si on restreint au seul christianisme.
Dire que le catholicisme et ses dérivés (orthodoxie, protestantisme) ont des racines européennes est par contre exact. Et, quelque part, c’est la culture européenne, avec ses mythes et ses légendes, qui a conquis le monde lorsque l’Eglise a envoyé ses missionnaires…
Retrouvez cet article dans le recueil Soyons des individus Solidaires.